MADEMOISELLE JULIE
Article
publié dans la Lettre n° 327
du
23 mai 2011
MADEMOISELLE JULIE d’August Strindberg.
Mise en scène Christian Schiaretti avec Clara Simpson, Clémentine
Verdier, Wladimir Yordanoff. Laura Butzbach-Calvet et Elodie Vandenbroucque
(figurantes).
Nuit de fête de la Saint-Jean, nuit de liesse domestique à laquelle
la demoiselle du château, Julie, a voulu inconsidérément se joindre.
Dans la touffeur de l’été et des désirs qui s’exacerbent, elle se
laisse aller à des provocations verbales et sensuelles dont la victime
consentante est Jean, le valet du Comte. La pieuse cuisinière, Kristin,
qui se croyait à plus ou moins juste titre la fiancée du valet,
est le témoin indigné des frasques de la jeune maîtresse qui s’encanaille
avec ce domestique ambitieux et cynique, prêt à tout pour honorer
ses rêves d’arriviste. Tandis que le volume sonore de la beuverie
populaire s’enfle aux marges de la cuisine, lieu des affrontements
intimes, la fièvre des deux amants fortuits atteint son point d’incandescence
avant le chaos des désillusions et le retour à la veulerie servile
de l’un sur fond de suicide de l’autre. Julie, insidieusement manipulée,
conclura ainsi sa déchéance de fille perdue, voleuse, si inconséquente
dans ce qui relève au fond d’une grande immaturité congénitale et
d’une maladroite revendication féministe. Face à elle, Jean, sous
ses velléités de libération sociale, n’est qu’un domestique foncièrement
aliéné dans son tissu d’obéissance.
La mise en scène de Christian Schiaretti, en jouant sur les contrastes,
met remarquablement en évidence la violence de ces conflits. Dans
un univers tout de noirceur s’allument les feux de la gourmandise,
celle des plats tendrement concoctés par Kristin pour Jean, celle
inévitablement attisée du désir sexuel. Mademoiselle Julie, si printanière
dans sa tenue, livre aux appétits hypocritement refoulés du sombre
valet la blondeur dénouée de ses cheveux et la blancheur dénudée
de sa peau. Fulgurance des corps, envol des billets de banque dérobés,
explosion du sac de la cuisine dans le silence inquiétant et au
ralenti des deux figurantes sous leurs masques grotesques. Chacun
s’enfonce dans son enfer par le chemin qui descend du fond de scène
vers l’épicentre du dégoût. Kristin remontera vers le salut de ses
dévotions, Julie montera vers une mort qui scelle sa dépravation.
Resté seul, Jean se recroquevillera dans le cocon de sa médiocrité.
Intelligemment servie par les trois acteurs dans les chocs alternés
de leurs contradictions, la désespérance de Strindberg ne laisse
au public conquis que l’échappatoire des applaudissements pour s’ébrouer.
Théâtre de La Colline 20e. A.D.
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