LOVE LETTERS
Article
publié dans la Lettre n° 328
du
13 juin 2011
LOVE LETTERS de A-R. Gurney. Mise
en scène Isa Mercure et Gilles Guillot avec Isa Mercure et Gilles
Guillot.
Elle est sa fantaisie, sa pétillance, il est son bon sens, sa pondération.
Elle est mutine, torturée, brutale, exigeante et ambiguë, et pousse
dans ses retranchements attendris ou exaspérés cet homme raisonnable
au regard clair, sans rouerie, qui aime tant écrire, à elle surtout.
Comme un oxymore d’existence, tellement improbable qu’il durera
cinq décennies.
Pauvre petite gosse de richissimes alcooliques de la Côte Est, Alexa
voudrait tant qu’on l’aime et provoque tout et tous, par son langage
grossier, ses insolences, ses comportements outranciers. Elle fume,
drague, boit outre mesure, saccage surtout un indéniable talent
d’artiste, malgré quelques expositions aux succès contrastés. Tom
est de famille moins aisée, mais solidement structurée, gravit sans
accroc les degrés jusqu’aux sommets de la réussite professionnelle,
politique, familiale. Dès leur enfance voisine et l’école partagée,
ils s’écrivent, invitations, cartes de vœux, billets pas forcément
doux, dessins, longues missives, et au travers de ce lien épistolaire
parfois cahoteux s’élabore une conversation jamais vraiment interrompue,
faite de rires, de disputes, de jalousies, de silences boudeurs,
de pardons suppliés, d’amour véritable en somme. Cet amour qu’ils
tenteront de faire dans un premier fiasco, avant l’éloignement des
corps, avant de se découvrir, émerveillés, pour une brève flambée
trop rapidement sacrifiée sur l’autel des contingences sociales.
On rit beaucoup, on s’émeut encore davantage devant cette franchise
d’autant plus sincère qu’elle s’inscrit dans la presque virtualité
de la chair. Et le paradoxe s’en incarne dans la mise en scène à
la fois minimaliste et intense, qui fait se côtoyer sans se regarder
les deux remarquables interprètes que sont Isa Mercure et Gilles
Guillot. Côte à côte, si indissolublement proches dans le parcours
de l’amour vital. Si évidents par la résonance qu’ils suscitent
en chacun de nous. En somme, le théâtre dans ce qu’il a de plus
essentiel, lorsqu’il donne à voir et à ressentir. Théâtre du
Lucernaire 6e. A.D.
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