LETTRES DE CALAMITY JANE A
SA FILLE
Article
publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n°
342
du
11 juin 2012
LETTRES DE CALAMITY JANE A SA FILLE.
Mise en scène Gérald Chatelain avec Catherine Rétoré.
Janey a quatre ans aujourd'hui, sa mère entame la préparation d'une
tarte aux pommes. Rien que de bien banal, si ce n'est que cette
femme en pantalon et sac à dos, les mains dans la farine et les
épluchures de fruits, c'est LA Calamity Jane de nos imaginaires,
celle que caricatures et BD ont affublée, de son vivant même, du
ridicule inquiétant de la houri défouraillant ses colts comme une
cow girl si peu féminine. Et on découvre une femme attendrie et
pétrie de remords au souvenir de cette enfant, parce qu'un tempérament
indocile, hors normes, et les circonstances de la vie l'ont contrainte
à la confier à un Papa Jim d'adoption. D'une voix gouailleuse et
bravache, elle nous dit, dans des sourires tentés par les larmes,
son amour sans faille pour sa fille et l'homme qui en fut le père,
Wild Bill. Elle raconte la liberté et la jalousie, le refus des
conformismes et ses vengeances amusées contre toutes les vermines,
ces femmes ricanantes qui la jugent du haut de leur hypocrite respectabilité.
Une vie d'indépendance abreuvée de solitude et d'errance, dans la
violence et les tueries du Far West. Calamity Jane a appris à lire,
tout en s'en cachant, pour pouvoir écrire ces lettres qui ne seront
jamais envoyées de son vivant, pour pouvoir surtout déchiffrer le
message annuel, assorti d'une photo pieusement contemplée, que lui
adresse Papa Jim. Tant est sincère sa vénération pour cet homme
généreux et noble qui accompagne en filigrane le cheminement cahoteux
de son errance.
Pour aller dans l'Est revoir sa fille, sans se dévoiler pour autant,
elle joue et gagne au poker, elle conduit les diligences, porte
secours aux plus indigents qu'elle, nourrit les hors-la-loi, joue
les mères de substitution. Elle a toute lucidité sur ses incohérences,
ses rêves de midinette, ses échecs répétés, ses frustrations et
ses excès qu'elle raconte sans fard. Elle a tellement la douloureuse
sensation de n'être jamais quelqu'un qui compte, dans la
terrible solitude des années à venir, d'être destinée à une
mort précoce. Elle dit combien elle sent venir la cécité, combien
elle décline, comme au bout de sa course, en fin de cette
vie qui fut un long cauchemar hideux. Seules l'auront illuminée
les quelques rares occasions de croiser la route de cette fille
tant chérie qui fut sa raison de vivre.
Le spectacle est émaillé de farine saupoudrée, de beurre malaxé,
de pommes épluchées, des bougies qui racontent la fuite des années,
tandis que s'égrène le récit de cette femme généreuse et pudique,
qui cache derrière l'autodérision l'âpreté de ses choix et de ses
fidélités. Le récit s'achève, la tarte est prête, aussi délicieuse
que le sourire en demi-teinte et l'intense présence de Catherine
Rétoré. Un plaisir à croquer. Théâtre Le Lucernaire 6e.
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