LAPIDÉE
Article
publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n°392
du
8 février 2016
LAPIDÉE. Texte et mise en scène Jean Chollet-Naguel avec Nathalie Pfeiffer, Pauline Klaus et Karim Bouziouane. Voix off Roland Giraud.
Une cave, la lumière est parcimonieuse, le confort absent.
Un homme y précipite violemment une femme, lui extorque clés, téléphone, passeport. Il vocifère, elle sanglote, le verrou installe un silence de plomb.
Envolés le conte de fée en voix off, la belle Hollandaise qui fit battre le cœur de son prince yéménite. Aux questions de Nouria, sa belle-sœur toute de noir voilée, Aneke oppose d’abord son hostilité, avant de percevoir en elle la complicité agissante d’une alliée. Nouria raconte la rumeur, l’hostilité première des femmes désormais amendée. Au fil des conversations se dévoile le machiavélisme d’un complot ourdi par la belle-mère jalouse, qui est entré en résonance avec les atavismes les plus rétrogrades et xénophobes d’une société de mâles préoccupés de leur fierté et d’une dignité bien chatouilleuse. Derrière une querelle conjugale presque banale dans sa violence, se dessinent les incompatibilités irréductibles que la naïveté aimante et loyale de l’épouse n’a pas perçues, l’impossible liberté des femmes dans un univers de claustration mentale et religieuse, l’inexorable tyrannie de coutumes arriérées, d’une justice de cauchemar aux mains exclusives des hommes, la mauvaise foi érigée en loi religieuse. Le sort d’Aneke est désormais scellé, Amsterdam est si loin, les chacals trop près.
Abdul, le mari, est écartelé entre les désirs d’ailleurs que lui a offerts ses années occidentales et leur déception, entre la clairvoyance du médecin qu’il est devenu et l’obscurantisme que son retour au village fait peser sur lui comme une chape. La monstruosité des pires traditions l’emportera.
Aneke subit l’horreur dans une incompréhension poignante et se raccrocherait à toute minuscule embellie, sauf lorsque la solution proposée par le mari est un innommable chantage qui la révulse.
Nouria, veuve sans enfant, à ce double titre méprisée par la communauté, érige au cours de ses visites à la future suppliciée une figure admirable de femme tout en profondeur derrière le voile de sa dissimulation sociale, pleine de ressources et de tendresse. Et la scène finale où elle prépare Aneke à une ultime dignité est un moment d’émotion dans la simplicité comme seul le théâtre peut en donner l’illustration palpable.
Le propos échappe au didactisme et à la sensiblerie, et le chant de Nouria s’élève, sobre et magnifique. Le cri d’Aneke s’étrangle avec la première pierre, tandis que s’égrènent, terribles et accusateurs, les noms des pays de l’ignominie. A.D. Comédie Bastille 11e.
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