LACENAIRE. FAIRE DE SA VIE UNE ŒUVRE

Article publié dans la Lettre n° 370
du 16 juin 2014


LACENAIRE. FAIRE DE SA VIE UNE ŒUVRE d’Yvan Bregeon et Franck Desmedt. Mise en scène Franck Desmedt avec Frédéric Kneip, Franck Desmedt ou Yvon Martin.
L’obscurité de la nuit est propice. Deux voleurs à la tire font les comptes après leur méfait. Deux bagues, un petit collier, la recette est mince. L’un des deux, un certain Avril, est « désenchanté ». L’autre, en mal de réussite, soudain exalté, aspire à frapper plus fort, jusqu’au crime. Dans sa ligne de mire un quidam qui, le soir, se dirige vers une maison de jeux, les poches pleines. Renseigné par un ancien détenu, il est sûr de son coup. Son complice hésite cependant à sauter le pas. « Pour saigner quelqu’un, il faut un vrai courage et je ne suis pas sûr de l’avoir ». Pierre-François Lacenaire, lui, s’en sent capable. Parfois même, il se fait peur : « Ce sang froid qui me porte et me terrifie, jusqu’où me portera-t-il ? ». Drôle de type ce trentenaire qui ne croit plus en la vertu des hommes, en cette société qui le rejette et avec laquelle il est obligé de vivre mais qui, paradoxalement, possède un art surprenant, celui d’écrire. Poèmes, articles, on lui reconnaît même un certain talent. Partagé entre la soif d’argent et ce bonheur inhabituel pour un criminel que représente l’écriture, il signe un pacte entre la plume et le poignard et va jusqu’au bout d’une sorte d’autodestruction programmée. Le jour de son procès, ayant renvoyé son avocat, il se lance avec un parfait cynisme dans une plaidoirie qui requiert sa propre exécution : « Je vous demande la mort comme un dû ». Après avoir transformé son procès en tribune théâtrale, il fait de sa prison un salon mondain, son exécution, le suicide d’un assassin romantique ! La presse se fait l’écho des forfaits de ce personnage peu commun. Poètes et écrivains apprécient et commentent ses écrits. Le mythe du « dandy assassin » est né.
Yvan Bregeon et Franck Desmedt se sont inspirés, entre autres, des mémoires de Pierre-François Lacenaire. La pièce, très écrite, décrit la vie chaotique d’un homme que les vicissitudes de l’enfance et de la jeunesse ont conduit au pire. Cette existence prend violemment fin sur l’échafaud à l’âge de trente-deux ans dans un contexte politique et social bien dessiné. La mise en scène énergique retrace les péripéties des ultimes épisodes, de la tentative d’assassinat au procès, du jugement à la condamnation à mort. Pour tout décor, des fûts épars de colonnes, dans le style de Daniel Buren. Frédéric Kneip, Franck Desmedt, excellents, les manipulent à vue, jouant ainsi sur le fil, sans un instant de répit, avec les unités de temps et de lieux. Théâtre de la Huchette 5e.


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