KADDISH POUR L’ENFANT QUI NE NAÎTRA PAS

Article publié dans la Lettre n° 370
du 16 juin 2014


KADDISH POUR L’ENFANT QUI NE NAÎTRA PAS d’après le roman de Imre Kertész. Traduction Natalia Zaremba-Huzsai et Charles Zaremba. Adaptation et mise en scène Joël Jouanneau avec Jean-Quentin Châtelain.
Comment une simple phrase, une simple question peut-elle éveiller ce flot intarissable de paroles ? Installé dans une maison de repos en compagnie d’autres intellectuels, l’écrivain était tout simplement parti faire une promenade en forêt lorsqu’il croisa les pas du philosophe qui lui posa « une question indiscrète », celle de savoir s’il avait des enfants, une manière de dire que lui-même n’en avait pas et d’amorcer une discussion. Il ne pensait pas à la survivance de sa propre vie mais craignait « la sclérose des sentiments ». Cette question de savoir s’il aurait pu avoir un enfant, l’écrivain se la posa la nuit-même. Elle l’amena à se demander ce qu’aurait été cet enfant : une petite fille brune aux joues parsemées de taches de rousseur ou un petit garçon têtu aux yeux rieurs ? Mais ce ne fut que plus tard qu’il sentit l’urgence d’écrire ce qu’il aurait dû écrire cette nuit-là, de coucher sur le papier son « auto-liquidation consciente »…
L’auteur hongrois Imre Kertész ne fut véritablement connu du public qu’après l’obtention du Prix Nobel de Littérature. Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas est le récit d’une tragédie commune à travers un témoignage personnel. Combien d’écrits sur le sujet ont-ils témoigné de l’extermination du peuple errant ? On pense n’avoir plus rien à appendre sur la Shoah. Mais il reste toujours à réfléchir sur ce qui fut et qui, en fin de compte, ne sert malheureusement pas de leçon aux générations suivantes. L’excellente adaptation traduit au plus près la souffrance contenue dans le texte original. Il s’agit d’une sorte d’exutoire, un cri poussé par l’un de ces millions de juifs face à l’indicible. S’il raconte son enfance, des vacances passées chez une tante qui révéla sa judéité, les camps de vacances ou l’internat, prémices d’un autre camp combien plus effroyable, c’est l’après Auschwitz qui le tourmente, son « retour à la vie », euphémisme pour expliquer la terreur qui ne le quitte plus ensuite. C’est l’étrange décalage entre lui et un entourage qu’il ne comprend pas, mais surtout sa rencontre avec « une belle femme juive », amour et vie commune voués à l’échec lorsqu’elle lui demande un enfant. Échec par refus de donner la vie, par refus de perpétrer sa race, c’est-à-dire de transmettre à son enfant l’enfer qu’il a lui-même vécu, échec au nom de l’enfant dont il ne peut envisager la naissance.
Jean-Quentin Châtelain fait plus que s’approprier ce bouleversant monologue, il le vit littéralement. Il est l’homme qui crie sa douleur, s’insurge contre l’innommable. Près de deux heures, durant lesquelles sa voix, prenante et inimitable, soliloque, vibre et emporte un public fasciné, directement dans l’âme et le cœur, en miettes, de son personnage. Théâtre de l’Œuvre 9e.


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