JUSTE LA FIN DU MONDE

Article publié dans la Lettre n° 283


JUSTE LA FIN DU MONDE de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène Michel Raskine avec Catherine Ferran, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Pierre Louis-Calixte.
La scène empiète sur six rangs d’orchestre. Parti pris de mise en scène: les personnages doivent être près du public, pour que le public entre dans leur intimité. L’intimité, c’est la maison familiale où Louis survient après des mois d’absence. Il va mourir et souhaite renouer avec les liens familiaux, revoir les siens avant sa disparition. Mais ceux-ci ont continué de vivre sans sa présence et sa place s’est peu à peu effacée. Son frère Antoine s’est marié avec Catherine. Ils ont deux enfants que Louis ne connaît pas mieux que sa belle-soeur. Quant à Suzanne la petite soeur, elle a peu de souvenirs de ce frère aîné. La mère ne parle guère. Elle considère ce fils prodigue avec surprise. Elle ne se souvient même plus de son âge : « Tu as quel âge ? ». « J’ai trente-quatre ans ». « Trente-quatre années, je ne me rends pas compte, c’est beaucoup de temps ». Les photos des souvenirs enfouis gisent éparses sur le sol. Remontent alors à la surface les comparaisons inévitables faites par les parents et qui ont laissé une blessure, les rivalités et les jalousies. La dispute éclate : « Je cédais toujours, je cédais », « Je devais te laisser la place», « On devait m’aimer trop puisqu’on ne t’aimait pas assez ». Louis repartira sans avoir annoncé cette mort prochaine qu’il gardera en lui comme un secret.
La famille est au centre de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce, décédé du sida à 38 ans. C’est en se sachant condamné qu’il a élaboré Juste la fin du monde, incluant, dans une première version, la mère, le père, la sœur, l’ami du fils et le fils dont il ne gardera, dans la version finale, que la mère, la sœur, le frère et la belle-sœur, gommant d’un coup l’ami et le père. On ne peut que réfléchir à la part très autobiographique de cette œuvre émouvante, où perce, malgré l’échéance de la mort et le contentieux familial, l’ironie et l’humour. Michel Raskine signe une mise en scène intimiste et très achevée. Il s’attache particulièrement à ce contact privilégié entre un public ému par le texte et des comédiens époustouflants. On retiendra la performance de Pierre Louis-Calixte, Louis exceptionnel, et celle de Laurent Stocker, remarquable et déjà remarqué dans le film de Claude Berry Ensemble, c’est tout, adapté du roman d'Anna Gavalda. Leur jeu s’accompagne de jolies trouvailles scéniques telles que la projection de photos et celle du titre de la pièce suspendu aux cintres et dont les lettres se détachent et volent comme des feuilles en automne.
Cotoyant Molière, Shakespeare, Lope de Vega, Edmond Rostand, Heinrich Von Kleist ou Beaumarchais, Jean-Luc Lagarce trouve amplement sa place à la Comédie Française. Ce texte magnifique qui sort du cœur offre un bien joli moment de théâtre. Comédie Française 1er.


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