JOURNALISTES

Article publié dans la Lettre n° 267


JOURNALISTES de Pierre Notte. Mise en scène Jean-Claude Cotillard avec Sophie Artur, Zazie Delem, Romain Apelbaum, Marc Duret, Hervé-Claude Ilin.
Gleçouster, Cardélio, Montépulet sont journalistes, du moins se disent journalistes. Ils traquent la personnalité en vogue, font la chasse aux invitations presse, se glissent dans les cocktails, ou mieux, rêvent de faire partie d’un jury dans un festival, loin si possible, tous frais payés. Ils ont un point commun: les deux premiers « voudraient un jour publier un article dans un journal ». Le troisième, plus modeste, « voudrait un jour écrire un article». Il est vrai que celui-ci avait une ambition plus modeste. Il souhaitait devenir gardien de péage. Bref, l’ambition de chacun est de trouver sa place, « être au monde et quelqu’un, si possible ». Alors l'un d'eux va fomenter un complot, faire courir des bruits, tenter d'ouvrir une brèche dans le cercle très fermé des grands critiques afin d'en faire tomber les têtes. Il est vrai que leur métier n’est pas simple. Cardélio, sous la coupe de sa rédactrice en chef, a la lourde responsabilité de rencontrer la grande dame du théâtre français. Les questions qu’elle pose sont à l’image des réponses, absconses. Cela dit, la Grande dame du théâtre français a des réponses sur le théâtre qui laissent quelque peu pantois. Mêmes les grandes dames du théâtre français n’ont parfois pas grand-chose à dire. Las, « une mystérieuse petite noix de cajou» a fait passer la grande dame du théâtre français de vie à trépas. L’auteur vivant contemporain est là pour faire l’éloge funèbre, son jargon n’est pas plus accessible. Il se gargarise d’une succession de mots creux que l’assistance reçoit béate. Parmi eux nos trois compères qui, après une représentation, vont se glisser dans un cocktail afin de tenter d’approcher enfin le comédien qu’ils rêvent d’interviewer, ou au moins de manger à l’œil. Bref, l’occasion pour Montépulet de passer « des bien beaux et bons moments dans le beau soir d’une bien belle et bonne soirée »! Le théâtre c’est aussi la province.Voir Strindberg à Dijon leur permet d’annoncer d’un air important « J’ai un Strindberg à Dijon ». Départ pour Dijon mais Cardélio ne perd pas de vue l’article qu’elle souhaite écrire. Elle a trouvé le sujet: «Le théâtre doit-il maintenir l’identification de ses choix artistiques en fonction de l’origine de ses financements, publics ou privés? ». Surprise du confrère mais pour elle tout est simple. Le journaliste: « il informe. Il n’a pas besoin de savoir…»
Auteur de Moi aussi, je suis Catherine Deneuve (Lettre 257) qui avait remporté le Molière du meilleur spectacle privé en 2006 et de J’existe (foutez-moi la paix), Pierre Notte avait déjà dans ses tiroirs Journalistes, satire humoristique de la profession. Ancien critique dramatique, aujourd’hui secrétaire général de la Comédie Française, il sait de quoi il parle. Il brosse un portrait jubilatoire de ces petits barbares mondains, incompétents et incultes, qui jugent ce qu’ils ne connaissent pas, ce qui n’empêche pas Pierre Notte de brocarder aussi les puissants qui leur font face, issus du théâtre public ou privé, qui, gaspillant l’argent alloué, font n’importe quoi pour faire tendance et donner l’impression d’avoir créé quelque chose d’incontournable. Jean-Claude Cotillard enchaîne de façon très vivante les séquences brèves de cette comédie corrosive, permettant aux cinq comédiens, vraiment réjouissants, d’exprimer leur talent. Le rôle de Cardélio, écrit pour un personnage masculin, aurait davantage conservé sa connotation humoristique s’il était resté ainsi, mais cela n’enlève rien au talent de Zazie Delem, aussi formidable ici que dans le rôle qui lui était dévolu dans Moi aussi je suis Catherine Deneuve. Bien heureusement, parmi cette faune, existe encore le bon critique dont rêvait Anatole France, « celui qui raconte les aventures de son âme au milieu des chefs-d’œuvres ». Celui-ci, Pierre Notte se garde bien de l'épingler. Théâtre Tristan Bernard 8e.


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