LA
JEUNE FILLE ET LA MORT
Article
publié dans la Lettre n° 269
LA JEUNE FILLE ET LA MORT d’Ariel
Dorfman. Adaptation française Gabriel Bauer. Mise en scène Didier
Long avec Sophie de la Rochefoucault, Frédéric Van Den Driessche,
Jean-Michel Noirey.
Pour les mélomanes, La Jeune fille et la mort est un quatuor
mélodieux de Schubert dont on retient la tristesse et la noblesse.
Pour Paulina, il est lié à un souvenir effroyable, obsessionnel.
Depuis quinze ans, elle tente de survivre. Dans un pays d’Amérique
du sud, après une longue période de dictature militaire, la démocratie
pointe son nez et veut régler les dettes de l’oppression, réparer
les injustices, condamner démocratiquement les bourreaux. Gerardo,
son mari, est avocat. Il vient d’accepter de faire partie de la
commission d’enquête présidentielle, chargée de débusquer et de
dénoncer les bourreaux de la dictature. En rentrant chez lui, victime
d’une crevaison, il est pris en stop par un automobiliste obligeant
qui le raccompagne. Paulina entend la voix du sympathique Roberto.
Cette voix la glace. Elle reconnaît cette voix de terreur, celle
du docteur Miranda, son tortionnaire. Elle décide alors de le juger
avec son mari. Ce que veut Paulina n’est pas faire justice elle-même
en tuant son bourreau, mais obtenir de lui une confession écrite
et signée qui lui permettra de surmonter le traumatisme causé. Elle
veut que son bourreau lui demande pardon pour ces quinze années
de souffrance, pas seulement pour les heures d’humiliations et de
douleur passées un bandeau sur les yeux, durant lesquelles il la
torturait et abusait d’elle au son de La Jeune fille et la mort.
Elle assomme Roberto. Ligoté, bâillonné, menacé d’un revolver, l’homme
nie. Gerardo vacille. Comment être sûr que ce type sympathique soit
bien le tortionnaire? Comment accepter la loi du talion, surtout
dans sa position? Roberto nie, crie, menace, supplie. Est-il innocent,
est-il coupable? Une voix peut-elle suffire à faire condamner un
homme? Mais Paulina veut que son traumatisme soit reconnu. Elle
vit depuis quinze ans, comme amputée d’espoir, d’insouciance. Ceux
qui prônent le pardon n’ont pas souffert dans leur chair.
Ariel Dorfman est d’origine chilienne. Conseiller de Salvador Allende,
il s’est exilé aux Etats-Unis après le coup d’état. Il enseigne,
écrit des romans et des pièces de théâtre mais en France, seule
La Jeune fille et la mort est connue, depuis1997, lorsque Daniel
Benoin monta l’oeuvre. Didier Long est le metteur en scène parfait
pour ce texte qui pose des questions aussi bien politiques que philosophiques
et sur le rôle de la justice et du renoncement. Il dirige avec maestria
cet oratorio dans un décor, très pensé, sobre et beau de Jean-Michel
Adam. Sa mise en scène toute en nuances s’efface devant les conflits
humains et le bouleversement des consciences. Le rôle de Paulina
est un rôle en or mais difficile. Sophie de la Rochefoucault le
joue avec une conviction qui force l’admiration. Frédéric Van Den
Driessche est un Gerardo irréprochable, mis face à sa conscience
et à son ambition politique tandis que Jean-Mihel Noirey endosse
celui du docteur Miranda, il est impressionnant. Théâtre 14 14e.
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