LE
JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD
Article
publié dans la Lettre n° 279
LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD de
Marivaux. Mise en scène Xavier Lemaire avec Isabelle Andréani, Gaëlle
Billaut-Danno, Bernard Carpentier, Julien Cigana, Xavier Clion,
Christian Dubouis, Michaël Gaudeul.
Deux pères, amis de longue date, ont décidé d’unir leurs enfants.
Orgon fait part de ce projet à sa fille Silvia tout en lui annonçant
l’arrivée imminente au château de Dorante, son futur époux. Mais
Silvia est une jeune fille libre d’esprit qui ne veut s’engager
que par amour. Elle prie donc son père de lui permettre d’observer
son prétendant à son insu afin d’être certaine de ses sentiments.
Elle conçoit ainsi le dessein de se faire passer pour Lisette, sa
suivante, qui revêtira les habits de sa maîtresse et jouera son
rôle. Attentif au bonheur de sa fille, Orgon en père aimant, accède
à cette demande et s’en amuse même avec son fils Mario car son vieil
ami l’a prévenu par lettre que Dorante a eu la même idée. Maîtres
et valets vont s’approcher sous leurs habits d’emprunt, se jauger
et se juger. A l’amour et au hasard de triompher !
Quelle merveille que cette pièce-là ! On a beau la connaître, l’avoir
vue et revue montée dans des mises en scènes différentes, elle enchante
de la même manière par la beauté de sa construction, de son propos
et de son style. Les événements et les rebondissements s’enchaînent
au rythme des cœurs, la langue nous parvient dans toute sa pureté,
passés simples, subjonctifs imparfaits ou passés coulant de source.
Cette célébration de l’amour ravit. Les sentiments profonds de ses
personnages en deviennent touchants, respectueux qu’ils sont des
sentiments de l’autre, comme ce père qui place plus haut que tout
le bonheur de sa fille, arguant du fait que « dans ce monde, il
faut être un peu trop bon pour l’être assez », à l’instar de Madame
Argante « La mère confidente » de sa fille Angélique. Ces œuvres
de Marivaux se font l’écho des idées modernes de leur auteur, psychologue
avant l’heure et amoureux de l’amour car, malgré les idées de Rousseau
sur l’éducation, le XVIIIe siècle conservait encore des principes
immuables et rigides qui seront encore observés les siècles suivants.
Xavier Lemaire joue merveilleusement avec ce marivaudage fin et
délicat. La chambre de Silvia, le salon ou la ravissante cuisine,
sont les décors astucieux d’une mise en scène vive et ludique. L’apparition
épisodique du tableau est un jeu de scène original et amusant. Les
costumes sont très bien étudiés selon la condition et le rôle que
se donnent les personnages. Les comédiens se dépensent sans compter.
Gaëlle Billaut-Danno, Silvia charmante et juste, Isabelle Andréani,
Lisette plus vraie que nature, Bernard Carpentier, père aimant,
Julien Cigana, frère facétieux, Xavier Clion, émouvant Dorante,
sont excellents. Un petit bémol pour Christian Dubouis, Arlequin
qui en fait un peu trop. La complicité qui unit les uns pour le
bonheur des autres, la quête du bonheur pour tous, ont traversé
les siècles sans se flétrir et sont autant de petites gouttes de
fraîcheur dans notre monde devenu fou. Théâtre Mouffetard 5e.
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