JE NE SERAI PAS AU RENDEZ-VOUS
Article
publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n°
337
du
27 février 2012
JE NE SERAI PAS AU RENDEZ-VOUS de
Ladislas Chollat et Patricia Haute-Pottier. Mise en scène Ladislas
Chollat avec Roger Dumas, Aurore Auteuil, Nicolas Giraud, Clémentine
Poidatz.
Il est de ces enfants qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent
à la grande fierté de leurs parents mais au grand dam de leurs frères
et sœurs. C’est le cas de Lukas. Scolarité, études supérieures,
permis de conduire, il a tout réussi du premier coup et même avec
un peu d’avance. Il achève d’écrire une thèse de trois cents pages
sur Claude Poisson, son auteur vivant préféré qu’il enseigne
et étudie. Il se dit peu précoce en amour mais, à seize ans, son
cœur s’est porté sur Nora qui, douze ans plus tard, est la femme
qu’il s’apprête à épouser. Nora, subjuguée par le tempérament et
le talent de Lukas, n’en revient pas qu’il l’ait choisie. Avec lui,
elle se sent « en vie ». La précocité est peut-être un atout pour
mener à bien une carrière mais sûrement pas pour former un couple.
Seize ans c’est trop tôt, quoique Lukas en dise, pour choisir la
femme de sa vie et l'épouser douze ans plus tard. Pour l’amour,
il faut du temps au temps. De fait, au moment de rejoindre Nora
pour l’essayage de sa robe de mariée, Lukas s’angoisse tout à coup.
Le destin qu’il s’apprête à vivre est-il celui qu’il souhaitait
? A bientôt vingt-huit ans, il ne veut plus être là où on l’attend,
il a besoin de faire une pause à durée indéterminée. Lui toujours
si présent et ponctuel, il décide d’être absent, de se mettre entre
parenthèses. La déception de Nora est d’autant plus grande, sa peine
plus profonde, que trois mois plus tard, Lukas transforme cette
parenthèse en séparation. Elle qui s’était laissée conduire, se
retrouve seule pour faire face à sa vie.
Lukas et Nora ont pour amie Blanche, une comédienne un peu dépressive,
toujours en quête du rôle qui la fera percer, toujours en retard
pour tout. En décidant tout à coup de changer la trajectoire de
son destin qui pourtant lui paraissait tout tracé, Lukas va changer
le cours de sa vie mais aussi celui de Claude Poisson, de Blanche
et de Nora. Il suffira d’un lot de 55 agendas feuilletés dans la
solitude d’un soir de réveillon, d’un rôle inespéré, d’un jeune
homme dans un métro lisant un roman de Claude Poisson pour que les
quatre personnages trouvent un nouveau sens à leur vie ou à ce qu’il
en reste.
Cette première pièce de Ladislas Chollat, jusqu’ici connu pour ses
mises en scène, est vraiment bien écrite. Sa réflexion très aboutie
parle de la vie, et de ce que l’on en fait, de ce que l’on est et
de ce que l’on devient, du hasard des rendez-vous manqués et du
hasard des rencontres qui n’auraient jamais dû avoir lieu.
La mise en scène de l’auteur se joue excellemment des changements
spatio-temporels, en partie grâce à l’ingéniosité du décor et de
la scénographie qui donnent une grande fluidité au tourbillon de
ces trois années dans lequel il entraîne ses personnages, des rôles
en or que Nicolas Giraud, Aurore Auteuil et Clémentine Poidatz interprètent
avec beaucoup de sensibilité, face à Roger Dumas, remarquable Claude
Poisson.
Une pièce où l’émotion perce souvent, dans laquelle beaucoup se
reconnaitront, où le hasard se fait personnage pour démontrer que
jamais rien n’est joué, qu’il suffit d’une rencontre improbable
ou d’un rendez-vous manqué pour s’échapper du chemin tracé et s’enfoncer
dans ceux de traverse où tous les rêves sont permis. Une pièce optimiste
où la vie a finalement beaucoup plus d’imagination que nous autres.
Théâtre des Mathurins 8e.
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