JACQUES ET SON MAÎTRE

Article publié dans la Lettre n° 291


JACQUES ET SON MAÎTRE de Milan Kundera. Mise en scène Nicolas Briançon avec Yves Pignot, Nicolas Briançon, Nathalie Roussel, François Siener, Patrick Palmero, Sophie Mercier, Ingrid Donnadieu, Alexandra Naoum, Philippe Beautier, Yves Bouquet.
Jacques et son maître cheminent. Ils vont à pied. Jacques est curieux de savoir où ils se rendent ainsi, mais son maître lui répond: « J’ai peur Jacques de savoir où nous allons ». Jacques le rassure: « On ne sait jamais où on va mais, comme disait mon capitaine, c’est écrit là-haut ». Chemin faisant, ils se racontent comment ils sont tombés amoureux et quelle en fût l’issue. Est-ce leur faute ou celle de la fatalité ? Jacques est-il un salaud parce que c’est écrit là-haut ou « est-ce que c’est écrit, parce qu’ils savaient, là-haut, que tu étais un salaud ? », lui rétorque son maître. Allez savoir « quelle est la cause et quel est l’effet » ? Les deux histoires s’entremêlent car ils s’interrompent, reprennent, s’interrompent encore. Puis ils s’arrêtent à l’Auberge du Grand Cerf où l’aubergiste leur raconte une autre histoire, celle de Madame de la Pommeraye qui aima le chevalier de Saint Ouen. Puis Jacques raconte la fable de la gaine et du coutelet, fable immonde, mais oh combien exemplaire ! De récit en récit, on apprendra que les histoires ne finissent pas toujours bien, surtout lorsqu’il s’agit d’amour. On apprendra aussi l’infortune des femmes mais aussi leur rouerie, la monstruosité des hommes, et que, dans tout meilleur ami sommeille un traître. On saura qu’il ne fait pas bon être un valet donné de maître en maître, encore moins un bâtard élevé à la campagne. Chemin faisant, Jacques et son maître devisent et philosophent aussi. Le maître se demandent pourquoi ne sont-ils pas à cheval. Parce que sur la scène où ils se trouvent, il ne peut y avoir de cheval, lui assure Jacques, mais aussi parce que celui qui les a réécrit est un mauvais poète ! Ils se perdront puis se retrouveront. C’est alors Jacques qui dira où l’on va : « en avant, n’importe où ».
Diderot, Kundera. Deux hommes, la pensée de l’un à des siècles du Siècle des Lumières de l’autre mais qui enchantent et rendent heureux. Ecrire Jacques et son maître fut pour Milan Kundera une variation sur une œuvre et un hommage à son auteur. La construction de la pièce est subtile car s’entrelacent les deux histoires d’amour, celle de Jacques et celle de son maître, auxquelles vient s’ajouter une troisième, celle de Madame de la Pommeraye, comme un simple épisode au milieu des deux autres. Dix ans après la création de la pièce dans le même théâtre, Nicolas Briançon reprend la mise en scène qu’il avait faite avec jubilation et passion. Ces deux sentiments sont communicatifs pour les comédiens qui avait vécu l’aventure avec lui, mais aussi pour ceux qui sont de la fête aujourd’hui. De simples tréteaux que l’on habille d’accessoires suffisent pour suggérer les multiples lieux, le chemin emprunté, l’auberge, l’intérieur du logis de Madame de la Pommeraye. Les lumières savamment disposées de Gaëlle de Malglaive font le reste. Nicolas Briançon possède ce talent rare de tout suggérer et prête sa grande présence et son talent à Jacques tandis que Yves Pignot lui répond aussi merveilleusement qu’il y a dix ans. Les autres comédiens sont indispensables mais servent aussi à faire valoir ces deux grands rôles qui occupent la scène sans jamais la quitter, tandis que l’accordéon égrène sa musique nostalgique. Un travail d’orfèvre. Théâtre 14 14e.


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