INNOCENCE
Article
publié dans la Lettre n° 382
du
4 mai 2015
INNOCENCE de Dea Loher. Traduction Laurent
Muhleisen. Mise en scène et scénographie Denis Marleau avec Claude
Mathieu, Catherine Sauval, Cécile Brune, Bakary Sangaré, Gilles David,
Georgia Scalliet, Nâzim Boudjenah, Danièle Lebrun, Louis Arene, Pierre
Hancisse, Sébastien Pouderoux, Pauline Méreuze.
Dans une ville portuaire, au nord de l’Europe, Fadoul et Elizio regardent
la mer depuis la jetée. Soudain ils voient une femme entrer dans l’eau
et nager vers le large. Elisio réalise qu’elle va se noyer et s’apprête
à la secourir mais leur statut de clandestins les dissuade d’agir.
La femme disparaît. Fadoul, surtout, en conçoit un complexe de culpabilité.
Peu après, il rencontre Absolue, une jeune aveugle streap-teaseuse
dans un cabaret. Née de parents aveugles, vivre avec cette cécité
lui semble normale, elle ne voit pas le regard des hommes posé sur
elle. Des liens d’amitié se créent entre elle et l’immigré africain.
À un arrêt de bus, Fadoul trouve un sac en plastique qui contient
une somme impressionnante en billets de banque usagés. Quidam distrait
ou doigt de Dieu, qu’importe, voici de quoi apaiser sa culpabilité
: il décide de se servir de cet argent pour rendre la vue à Absolue.
Mais le souhaite-t-elle vraiment ? Autour d’eux, des personnages peinent
sous le poids de leur vie et en cherchent le sens. Un couple détruit
par l’assassinat de leur fille, la mère du meurtrier qui fait intrusion
chez eux, une femme diabétique, rongée par la gangrène, dont la fille
Rosa ressemble étrangement à la noyée, mariée à un homme qui « s’occupe
des morts » alors qu’il se destinait plutôt à la médecine. Ella, enfin,
qui, au soir de sa vie, soliloque en philosophe et se pose cette question
centrale: « Faut-il continuer, sachant que le monde n’est absolument
pas fiable ? ». Dans cette communauté en plein marasme, les suicides
sont nombreux et dérangent parfois…
Sans s’égarer dans des considérations psychologiques, Dea Loher exprime
par petites touches les maux qui rongent les différents personnages
et dont souffre aujourd’hui l’Occident, ainsi que les questions existentielles
qu’ils se posent, suivant le fil du récit conduit par Fadoul.
Comment restituer ce texte difficile, donner corps et âme à tous ces
personnages statiques ou en mouvement, les uns restant silencieux
pendant que les autres monologuent ou dialoguent, pris sur le vif
dans la mémoire du passé ou dans l’instant du présent ? Denis Marleau
répond admirablement à cette question. Il les place tous sur la scène,
les laissant exprimer leurs tourments : le suicide d’une enfant, l’assassinat
d’une autre, le poids de la culpabilité d’avoir mis au monde un assassin,
les ambitions professionnelles inabouties, la vieillesse aigrie, le
statut de sans papiers, le handicap, le sens de la vie, le poids de
la religion.
L’habit fait le moine. Jean-Paul Gaultier habille avec subtilité les
comédiens selon les rôles qu’ils interprètent. Le public reste subjugué
par le jeu extrêmement précis d’une troupe en osmose qui se prête
à toutes les difficultés du texte, à la fantaisie de l’espace-temps
et de la scénographie animée d’éloquentes vidéos. Voici quelque chose
de neuf. Comédie Française 1er.
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