L'INGENU

Article publié dans la Lettre n° 279

L’INGÉNU d’après Voltaire. Adaptation Jean Cosmos. Mise en scène Arnaud Denis avec douze comédiens dont Jean-Pierre Leroux, Jacques Ciron, Denis Laustriat, Romane Portail.
Imaginez Saint-Malo au XVIIIe siècle et sur le port un homme étrangement vêtu de haut-de-chausses en daim frangé, le torse nu. Il vient non pas d’une autre planète mais du nouveau monde. Le jeune homme est un indien, un huron. Il parle le français aussi bien que Monsieur le curé mais il est étrangement franc. Son nom, huron, étant trop compliqué, on l’appelle l’Ingénu. Il découvre une partie de sa famille. Il tombe amoureux de la belle Saint-Yves. Ils sont tous les deux jeunes, beaux, sincères, mais un destin malin et l’hypocrisie des hommes vont les jeter dans un tourbillon d’avanies.
Le diable d’homme nommé Jean-François Arouet dit Voltaire était un auteur tout terrain, poète, dramaturge, tragédien, philosophe. Dès 1734, il connaît les foudres de la censure après la publication des « lettres philosophiques ». Pour contourner les censeurs de tout genre, il écrit des romans, des contes et laisse la parole à ses personnages. Peut-on reprocher à un huron de ne point connaître les usages de la société, les codes de la religion et l’étiquette de la cour ? Notre Ingénu va découvrir l’hypocrisie, le poison de la jalousie et le crime suprême de l’innocence.
L’Ingénu fut écrit en 1767. Moins connu que Candide  ou  Zadig , ce conte mérite de nombreux lecteurs. Arnaud Denis est un phénomène. Ce jeune homme est l’un des plus prometteurs de sa génération. Après Les Fourberies de Scapin, Les Revenants et Huis Clos, Arnaud Denis qui aime surfer sur les genres avec le même talent, change de siècle et de style. L’Ingénu est un conte. Jean Cosmos fit une adaptation dialoguée pour la scène. Séduit par l’intelligence du travail en profondeur d’Arnaud Denis, il lui confie cette œuvre ambitieuse avec trente personnages, mêlant la comédie, le drame, la satire. La mise en scène ingénieuse de cet « Ingénu » fait appel à la magie du théâtre. Une mer démontée est un grand tissu agité, l’attaque des anglais est jouée par douze comédiens qui se changent comme des Fregoli en un clin d’œil. Le spectacle commence avec un plateau nu, éclairé par l’ampoule crue d’une servante. Un metteur en scène, l’excellent Jean-Pierre Leroux, s’attelle à la mise en scène du spectacle dont le propos est celui d’une super production. Les figurants - les trente rôles sont tenus par douze comédiens - prennent leurs costumes sur des portants. Et puis la magie du théâtre nous prend, on oublie les trucs, les artifices et le spectateur est happé par la magie des planches. Arnaud Denis ne se contente pas d’être un metteur en scène de grand talent, il est un directeur d’acteurs. Toute la troupe est à l’unisson de la qualité. Quelle joie de voir Jacques Ciron camper un prieur de Kerkabon débonnaire. Quant à notre metteur en scène, il interprète un huron athlétique et philosophe d’une folle séduction. Une réussite époustouflante. Vingtième Théâtre 20e.

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