INCONNU A CETTE ADRESSE

Article publié dans la Lettre n° 189

INCONNU A CETTE ADRESSE de Kressman Taylor. Adaptation Michèle Levy-Bram. Mise en scène Françoise Petit avec Eric Laugérias, Matthieu Rozé.
Cela commence comme une fable: ils étaient deux amis, Martin et Max. Le premier traverse l’Atlantique et rentre au pays s’installer à Munich. Max reste à San Francisco pour s’occuper de leur galerie d’art. Les associés entretiennent une correspondance fournie. Les résultats comptables sont le prétexte à donner des détails de leur vie quotidienne. Les dollars de Martin lui offrent une aisance aristocratique dans une Allemagne qui se remet douloureusement du marasme économique. Martin rêve d’honneur, et devient sympathisant du parti nazi. Max s’amuse au début des vélléités de son ami à devenir un notable. Mais le rire devient grinçant puisque la soeur de Max, jeune comédienne pleine d’avenir, donne une autre image de cette nouvelle Allemagne où il ne fait pas bon être juif.
Kressmann Taylor, comme son nom ne l’indique pas, est une femme. Elle imagine en 1938 l’échange épistolaire, de novembre 1932 à mars 1935. Ce livre est de ceux que l’on offre aux amis, aux familiers afin qu’ils partagent la même émotion. Françoise Petit a théâtralisé l’oeuvre en évitant tous les écueils d’une lecture croisée. Sa mise en scène est une grande réussite, l’astucieux décor de Jean Bauer reflète l’univers de chacun. Mathieu Rozé, visage angélique et sympathique, interprète subtilement Martin. Il nous fait ressentir le glissement de son personnage vers la bassesse et l’emprise commanditée des convictions. Il était aisé de jouer un sombre salaud, il joue sans caricature. Eric Laugérias est Max. Ballotté par les événements, fou d’inquiétude pour sa soeur, impuissant à la sauver, il va armer une vengeance diabolique. Le comédien fait évoluer Max, de l’élégant célibataire à l’homme blessé, qui se forge dans la haine et la vengeance. La salle retient son souffle, captivée par le récit de cette amitié broyée dans l’engrenage implacable de l’histoire. La Pépinière-Opéra 2e.

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