L'ILLUSION COMIQUE

Article publié dans la Lettre n° 318


L’ILLUSION COMIQUE de Pierre Corneille. Mise en scène Elisabeth Chailloux avec Raphaèle Bouchard, Frédéric Cherboeuf, Etienne Coquereau, Jean-Charles Delaume, Malik Faraoun, François Lequesne, Adrien Michaux, Lara Suyeux.
« Mon fils comédien ! », la désolation de Pridamant suscite le rire. Et pourtant, quoi de plus sérieux que cette déception indignée d’un père honorable qui apprend que son fils s’est fait saltimbanque ? Il a connu l’angoisse par la fuite de Clindor qu’il a inconsciemment trop sévèrement éloigné. En longue quête de lui, il l’a retrouvé grâce à la magie d’Alcandre, a souri de soulagement puis pleuré de deuil au spectacle des revirements de fortune. Clindor est assassiné, Pridamant s’effondre. On le lui ressuscite par l’artifice du théâtre…et sa première réaction est l’indignation ! Revenu à plus de bon sens, il fera la paix avec ce fils théâtreux et surtout avec lui-même, père malgré tout. Mais reviendra-t-il vraiment de cette illusion dans laquelle sa quête l’a plongé et les spectateurs avec lui ? Toute la subtilité de la mise en scène tient à cette constante ambiguïté entre fantasme et réalité. Ambiguïté de ce fou de Matamore, désopilant et pitoyable, que son délire de couard glorieux condamne à une solitude hallucinée. Ambiguïté de Clindor, amant dont on ne sait où va son amour sincère. Face à Matamore, mais aussi ses conquêtes féminines, il préfigure la rouerie des Scapin et autres Sganarelle. Dom Juan n’est pas loin non plus.
Ambiguïté de Lyse, qui, par jalousie, trahit sans vergogne sa maîtresse Isabelle, mais sauvera les amants, par amour généreux pour Clindor, en se donnant à un rustaud dont on ne sait si elle l’aime vraiment. Classiquement sans surprise, la belle Isabelle en amante quasi tragique préfigure Chimène, Géronte sacrifie sa fille à sa cupidité, le prétendant Adraste a la morgue des nobliaux, le magicien Alcandre est un Monsieur Loyal efficace et juste assez menaçant.
Entre comédie italienne et tragédie pleine de sang, le théâtre déroule ses facettes. Mais comment rendre cette illusion protéiforme ?
Jeux d’ombres et de lumière sur un plateau dépouillé à l’extrême, propice aux sauts et gambades, variations d’écrans coulissants, projections de paysages nocturnes que viennent scander les coassements sinistres d’oiseaux de malheur. L’espace est d’autant plus ouvert, de la réalité à la fantasmagorie. Les costumes hétéroclites entrelacent les modes, vestons et pardessus, chemises décontractées et robes fluides. Seul l’accoutrement de Matamore et les cols de dentelle évoquent le 17e siècle. Mais ambiguïté encore dans le rôle et la robe de sang de Rosine, pour rappeler qu’au théâtre chacun peut jouer le rôle de l’autre, ou presque. Donnant vie à l’alexandrin fluide de Corneille, les huit acteurs, excellents, nous entraînent dans la complicité de cette délicieuse duperie. Au mot de la fin, notre premier réflexe n’est-il pas de regarder dans notre dos ? Sommes-nous réels ou, à notre insu, jouets-acteurs d’un autre drame, d’une autre illusion ? Le Théâtre, en somme. Théâtre d’Ivry-Antoine Vitez, Ivry sur Seine 94. A.D.


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