IL FAUT JE NE VEUX PAS
Article
publié dans la Lettre n° 338
du
19 mars 2012
IL FAUT JE NE VEUX PAS. Textes d’Alfred
de Musset « Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée »
et de Jean-Marie Besset « Je ne veux pas me marier ». Mise
en scène Jean-Marie Besset avec Blanche Leleu, Chloé Olivères, Adrien
Melin.
Depuis un an, il arpente le pavé sous ses fenêtres, passe lui rendre
visite en voisin. Depuis un an déjà, tous les mardis, le jour où
elle reçoit, il se mêle aux autres invités. Amoureux transi, il
brûle de lui avouer son amour, de la prendre dans ses bras, de l’aimer
furieusement car, tout en elle, attise son désir. Pourtant la marquise
est inflexible. Elle se refuse à lui. Il ne s’agit pas là d’une
question de milieu social ni de fortune, il est comte, sans doute,
mais presqu’aussi fortuné qu’elle. Alors ? Veuve, elle a suffisamment
fréquenté les hommes pour s’en méfier. Pas de cour, pas de badinage,
ce verbiage sans esprit et surtout sans aucune assurance des sentiments.
Elle préfère passer à côté de l’amour plutôt que de se laisser entraîner
dans une liaison seulement animée par le désir. Pour la conquérir
enfin, il devra lui offrir davantage, elle l’y conduira. Alfred
de Musset s’y emploie avec talent.
À la veille de son mariage avec Tigrane, Vivien, rongée par le doute,
a souhaité passer la soirée seule pour réfléchir. Les préparatifs
de leur union sont parvenus à leur terme. Les 150 invités se presseront
demain dans l’église orthodoxe où le pope scellera leur union mais
elle ne se sent pas prête. Contre toute attente, Tigrane survient.
Il n’aurait pas dû, il va faire les frais de l’angoisse toute féminine
d’une compagne qu’il ne reconnaît plus. Elle lui lance alors toutes
les questions qu’elle se serait posées sans lui. Effaré, il ne comprend
pas son raisonnement. Ils vivent ensemble depuis six mois. Très
amoureux, il lui rappelle les moments heureux. Pourquoi ces hésitations,
cette volte-face ?
Dans la petite pièce de Musset, l’héroïne revendique le droit que
l’on s’adresse à son intelligence plutôt qu’à ses sens et veut être
aimée pour elle-même et non pour l’attirance physique qu’elle suscite.
Blanche Leleu interprète avec fougue le rôle de cette femme de tête
qui ne s’en laisse pas compter et exige d’être considérée comme
une femme à part entière, non comme une poupée dont les hommes se
jouent. Adrien Melin interprète avec talent l’amoureux prêt à tout
pour conquérir l’objet de sa passion. Les réparties de la marquise,
son intelligence fait d’elle une féministe avant l’heure et de Musset
un auteur en avance sur son temps.
Vivien, elle, refuse de sceller par un mariage une union qu’ils
vivent librement depuis des mois. Le rite, la signature entérinent
un engagement qui l’effraie et que Tigrane ne comprend pas : lui,
l’a choisie pour être sa femme et s’engage à partager définitivement
sa vie. Adrien Melin, en bon caméléon, donne cette fois la réplique
à Chloé Olivères, Vivien très juste, enjôleuse ou agaçante, terriblement
craquante dans sa petite robe droite.
Du texte de Jean-Marie Besset, on retient les enjeux et les conséquences
de l’évolution des mœurs dans notre société. Sa mise en scène lie
subtilement les deux oeuvres. Pour la marquise, il faut ce
mariage car elle voit en lui la consécration d’une union amoureuse
et sa reconnaissance dans une société conventionnelle. Vivien au
contraire ne veut pas d’un engagement qu’elle estime dangereux,
susceptible d’entraîner son couple dans une routine qui tuera leur
amour. Le sacrement du mariage, incontournable chez Musset, est
remis en question chez Besset. La femme, de par sa profession, est
devenue financièrement indépendante. La mère célibataire, la famille
monoparentale ou l’union libre ne sont plus sujets d’opprobre. Vivien
pourtant se laisse convaincre. Elle prend le risque de voir son
amour s’éteindre mais, sans l’entrevoir encore, se lance dans une
autre aventure : la pérennité de sa cellule familiale et de son
indispensable point d’ancrage pour ses enfants. Théâtre de l’Œuvre
9e.
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