IL ÉTAIT UNE FOIS GERMAINE TILLION

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre392
du 8 février 2016


IL ÉTAIT UNE FOIS GERMAINE TILLION d’après Germaine Tillion. Mise en scène Xavier Marchand avec Manon Allouch, Pauline Dubreuil, Camille Grandville, Pascal Omhovère, Myriam Sokoloff.
Comment dire et donner à voir ce long fleuve d’intelligence et d’engagement que fut Germaine Tillion ? L’ampleur même du personnage est une vraie gageure et un tel foisonnement aurait été peut-être fastidieux sans la constante originalité des choix de mise en voix et en gestes.
Un très large plateau offre l’espace à trois tableaux successifs, le premier retrace les aventures ethnographiques des années quarante dans les Aurès, le deuxième évoque l’univers concentrationnaire de Ravensbrück, le troisième est consacré à l’Alger de la guerre d’indépendance.
Jeune femme atypique, Germaine Tillion trouve dans la fréquentation intelligente et amusée d’une ethnie berbère la matière de sa recherche. Un grand écran en fond de scène permet de percevoir, sur une carte et avec des schémas et des dessins significatifs, les avancées de cette immersion en terre inconnue, à laquelle on participe grâce à des rétro-projections scandées de clarinette et de percussions en direct. Le récit en est fait par Germaine elle-même en dialogue avec un ethnologue qui interroge et commente.
Le deuxième temps donne à voir l’univers concentrationnaire. Moments de réelle émotion sur la souffrance physique et morale, autant que d’expression de la monstruosité du système, que l’ethnologue a exprimée dans son opéra Le Verfügbar aux Enfers, comme réponse par le rire et la dérision à la monstruosité des bourreaux. Tandis qu’un conférencier raconte ces aventures tragiques et burlesques, et que Germaine Tillion exprime avec retenue sa douleur, trois incarnations des victimes malaxent la glaise de leur masque de résistance, entassent les cailloux d’une main d’œuvre absurde avant de les ordonner en rangées insensées.
Le tableau final, illustré de vues aériennes et autres clichés d’archives, retrace la téméraire négociation qui permit à Germaine Tillion de jouer un rôle décisif dans la politique de décolonisation et d’apaisement du conflit algérien à partir de 1954.
De ces trois étapes matérialisées avec sobriété et émotion, se dégage le portrait d’une vraiment très grande dame, qui sut, sans faillir tout au long de son siècle de vie, mettre en œuvre la nature même de l’anthropologie, ce regard à la fois intime et distancié porté sur des comportements étrangers, et en inférer une profonde réflexion sur les ressorts humains.
En échappant à un didactisme pesant et grâce à l’inventivité des procédés, cette mise en regard, servie par le jeu remarquable des cinq acteurs, souples par la voix et par le corps, confirme si besoin était le rôle fondamental du théâtre dans l’intelligence des histoires individuelles et de l’Histoire. A.D. TQI Studio Casanova Ivry/Seine 94.


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