IDIOT
Article
publié dans la Lettre n° 359
du
28 octobre 2013
IDIOT d’après Dostoïevski. Mise en
scène Laurence Andreini avec Valentine Alaqui, Eric Bergeonneau,
Clémentine Bernard, Romain Cottard, Philippe Maymat et Bertrand
Poncet.
Une société corrompue par l’argent et gangrenée de snobisme, comment
y survivrait un être aussi simple et sincère que le Prince Mychkine
? Il ne connaît pas les codes de l’hypocrisie et de la vénalité
qui règlent ce cercle mondain, dans lequel il atterrit comme venu
d’une autre planète, après des années d’exil sanitaire en Suisse.
La spontanéité de son regard et des vérités qu’il énonce déboussole
ces incurables de la fausseté. Et son épilepsie va y flamber à nouveau,
métaphore si évidente de l’irréductibilité entre son angélisme et
l’artifice de ce monde pourrissant. L’Idiot y croise la route assassine
de Rogogine le fou destructeur par passion, la beauté fascinante
de Nastassia et le trouble émerveillement d’Aglaïa la nymphomane
en mal d’épousailles, les rodomontades avinées de deux généraux,
la cupidité de cette fouine de Gania le secrétaire. Mais son sacrifice
pétri d’amour ne sauvera personne et mènera à l’échec et au drame
funeste.
Belle gageure que de condenser sur scène l’intrigue foisonnante
du roman de Dostoïevski ! Le pari en est réussi.
Le dépouillement presque aérien du décor, fait de simples charpentes,
contribue à une épure aux accents shakeapeariens, dans laquelle
s’exacerbent les passions en clair obscur inquiétant. La voix et
le jeu des acteurs sonnent juste, comme la souplesse de leurs corps.
Au centre, se dresse la haute figure d’un Mychkine lunaire et halluciné,
jusqu’à l’acmé de la crise finale. On sort courbatu de ce huis-clos,
renvoyé à une lucidité sans merci. Le salut ne serait-il, toutes
époques confondues, que dans la naïveté de l’idiotie ? Théâtre
de Belleville 11e. A.D.
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