HUGHIE
Article
publié dans la Lettre n° 270
HUGHIE de Eugene O’Neill. Texte français
de Jacqueline Autrusseau et Maurice Goldring. Adaptation scénique
et mise en scène Laurent Terzieff. Son et voix off Piere-Jean Horville
avec Laurent Terzieff et Claude Aufaure.
C’est l’été 1928 à New-York. Dans un hôtel d’une rue secondaire
du quartier de Broadway, la réception croule sous le poids des ans.
Le vieil établissement a eu son heure de gloire mais, les conséquences
de la première guerre mondiale et la prohibition, ont eu raison
de lui. Il n’est plus aujourd’hui qu’un hôtel de troisième ordre
qui accepte les clients au mois. Hughie, le gardien de nuit, est
mort la semaine passée. Charlie Hughes le remplace. Erié Smith rentre
après cinq jours de beuverie. Cela a été sa façon à lui de dire
adieu à Hughie qu’il aimait bien mais aussi à une vie qu’il n’a
plus : depuis la mort de ce vieux compagnon d’insomnie, rien ne
lui réussit plus, ni les courses, ni le jeu, ni les femmes. Lui
qui autrefois, selon ses dires, allumait un cigare avec un billet
de cent dollars, a dû emprunter pour la couronne de l’enterrement.
Il est trois heures du matin. Erié jauge le remplaçant : saura-t-il
écouter comme Hughie, prendre pour argent comptant tous les mensonges
qu’il lui disait, jouer aux dés, gagner et puis tout perdre, selon
son bon vouloir ? Charlie Hughe, de con côté, observe le 421 qui
tarde à aller se coucher. Ses pieds le font souffrir mais il se
doit de rester à écouter. Deux heures durant, Erié raconte les courses,
l’argent, les filles, le jeu. Pendant que l’un soliloque, l’autre
s’évade, interprétant à sa manière les bruits de la ville. D’abord
hermétique et distrait, Charlie finit par tendre une oreille à ce
qui lui raconte ce flambeur prolixe. Mais cinq heures vont bientôt
sonner, le temps est venu pour Erié de monter se coucher…
Eugène O’Neill a écrit sa pièce en 1942, à l’époque où d’autres
chefs d’œuvre voyaient le jour sous sa plume. Elle est considérée
comme la plus autobiographique. A travers le personnage d’Erié,
perce le désespoir de celui qui, pour survivre, s’est imaginé un
passé glorieux et l’on assiste en temps réel à l’élaboration de
toutes pièces d’un personnage noyé dans l’alcool, rongé par l’échec
de sa vie et pris par la nostalgie d’une existence qu’il aurait
souhaitée plus faste. L’adaptation, la mise en scène et le décor
restituent admirablement bien le contexte de l’époque, le milieu
dans lequel évoluent les deux comédiens. Laurent Terzieff et Claude
Aufaure s’emparent avec talent de leur personnage, l’un dans son
emploi de dandy déchu, l’autre dans celui d’employé « enchaîné »
à sa tâche, tous deux assistés par la voix off prenante et explicative
de Pierre-Jean Horville. Pendant que sous les aiguilles de l’horloge
de la réception, les minutes tombent « comme des fourmis décapitées »,
le spectateur, suspendu aux lèvres de Laurent Terzieff, magistral,
et séduit par la présence savamment étudiée de Claude Aufaure, reste
charmé par ce travail finement ciselé, net, exigeant. Le Lucernaire
6e.
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