HOURIA
Article
publié dans la Lettre n° 255
HOURIA de Gaspare Dori. Mise en scène
Christophe Luthringer et Bruce Myers avec Pamela Edouard.
Quel âge a-t-elle ? Peu importe. La jeune femme est dans sa cellule
et vit ses dernières heures. Elle est condamnée à mort. Elle va
être lapidée. Elle le sait. Ses dernières heures, elle les consacre
à ses souvenirs en compagnie de ses anges. Comment en est-elle arrivée
là ? Son plus grand pêché fut d’être femme, un crime. Elle a appris
à être silencieuse, à glisser dans l’espace afin que son père l’oublie.
Les barbus sont au pouvoir. Les femmes sont chassées de la vie civile,
des écoles. Elles doivent rester chez elles, pardon chez leur mari.
Corvéables à merci. Son père l’a vendue, pour sa chance, pour son
malheur. Avec ses anges de miséricorde qu’elle appelle dans son
soliloque, elle évoque la vie d’avant. Une photographie qui a échappé
à la vindicte paternelle le prouve. Sa mère est en maillot de bain
et elle sourit, parmi d’autres qui sourient aussi. Aujourd’hui,
plus rien ne sourit, ni les hommes dont les lèvres sont mangées
par la barbe, ni les femmes voilées des pieds à la tête. Un grillage
devant les yeux leur permet de voir le monde extérieur cadré par
des barreaux de tissu. Houria s’est révoltée, trop de silence, trop
de souffrance, trop de brimade. Aujourd’hui, elle va mourir, douloureuse
délivrance.
Gaspare Dori a écrit avec une langue simple et poétique ce chant
de vie de cette femme afghane, victime des talibans. L’intolérance,
la bêtise immonde des panurges de l’absolutisme sont décrites avec
une émotion à fleur de peau, sans pathos excessif, sans concession.
Les sentiments, les désirs inassouvis d’une femme violée au plus
profond de son être sont délicatement écrits par l’auteur et transcendés
par une incroyable comédienne, Pamela Edouard. Elle est frêle, chuchote
son texte avec une infinie douceur, puis tout d’un coup, dans une
danse libératrice, nous surprend par sa violence trop longtemps
contenue.
Christophe Luthringer a été le passeur de mots, le catalyseur d’émotions.
Sa mise en scène est une telle réussite qu’elle s’oublie. Il s’est
mis au service d’un texte et d’une comédienne. Tout est simple,
sobre et beau dans ce spectacle, le décor, un sol de terre battue,
un tabouret, des éclairages admirables, comme ce rectangle de lumière
qui évoque le lit conjugal, véritable tombeau des illusions d’Houria
et lui donne un dernier vertige. Poignant, beau, indispensable comme
le rire d’un enfant, comme le sourire d’un ange, Houria est un cri
qui retentit dans nos consciences. Lucernaire 6e.
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