HERNANI

Article publié dans la Lettre n° 341
du 21 mai 2012


HERNANI de Victor Hugo. Mise en scène Margaux Eskénazi avec Sylvie Beurtheret, Laurent Deve, Laure Grandbesançon, Thomas Moreno, Jean Pavageau.
Doña Sol a l’innocence attendrissante d’une jeune Agnès de Molière, trois amoureux se la disputent, Don Ruy Gomez, un Arnolphe vieillard libidineux et fourbe, Hernani en D’Artagnan bretteur plein de fougue, Don Carlos jeune roi qui a encore la liberté de ses foucades sentimentales. A ce quatuor s’ajoute l’inévitable duègne des espagnolades convenues. Complot, trahison, magnanimité, poison, tous les ingrédients de la tragédie se retrouvent dans le souffle échevelé du jeune romantisme. Ruy Blas et les grandes envolées poétiques de Hugo se profilent déjà. Mais ce qui confère à Hernani son originalité roborative tient au subtil mélange des genres, entre grivoiserie, moralisme politique, émotion et sentiments exacerbés, violence et traîtrise. Molière et Shakespeare en synthèse.
La mise en scène ici revisite, en l’allégeant sans la trahir ni l’édulcorer, cette réflexion sur l’amour sans concession des héros, l’inconséquence des serments, les appétits et la fourberie d’une vieillesse jalouse, la lutte contre le despote, la montée responsable vers le pouvoir suprême, la clémence qui l’assortit, l’inéluctable condamnation de toute cette fougue.
Le parti est pris par les acteurs de débarrasser leur jeu d’un fatras conventionnel de dignité et de componction. Alors ils dévorent des poulets, se gavent de biscuits et de bonbons, jaillissent et rebondissent sur un plateau presque vide qui se prête à leurs élans de duellistes et d’amoureux. Armoire multiforme, capes complices, échelle suggestive. La foule courtisane y est métaphorisée par mégaphone, le sarcophage de l’ancêtre et la réflexion de l’empereur en devenir s’illustrent dans une épure significative. Admirable scène du tombeau, où Don Carlos, avatar d’Hamlet, en se dépouillant des oripeaux de son irresponsabilité première acquiert la densité et la stature du vrai pouvoir.
On pourrait être déconcerté par ce mélange des genres qui tient à la fois au texte, à la simplicité minimaliste des moyens employés, au choix anachronique des objets. Eh bien non, on sort convaincu de l’étonnante aptitude de Victor Hugo à nous émouvoir encore sur de tels sujets, et on adhère d’autant plus à la pertinence de cette mise en scène qu’elle est servie par la jeunesse convaincante de cinq acteurs efficaces tout à leur réjouissant appétit de jouer.
Bon appétit, Messieurs et Mesdames, dirait Ruy Blas. Théâtre de Belleville 11e. A.D.


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