HAMLET

Article publié dans la Lettre n° 374
du 17 novembre 2014


HAMLET de William Shakespeare. Mise en scène, traduction et adaptation Daniel Mesguich avec William Mesguich, Anne de Broca, Laurent Montel, Philippe Maymat, Sarah Gabrielle, Rebecca Stella, Eric Bergeonneau, Yan Richard, Florent Ferrier, Marie Frémont, Tristan Willmott, Joëlle Lüthi.
Hamlet, fils en déshérence de père, la mère adultère, l’oncle devenu beau-père par meurtre auriculaire, la blonde Ophélie en chemin de folie, Polonius fantoche bouffi, les comparses grinçants ou déloyaux, et les crânes de la mémoire … tout a été dit sur leurs aventures au pays d’Elseneur. Tout ? Voire… Le territoire en est si vaste que nul ne saurait l’embrasser, même du regard. Alors Daniel Mesguich a opté pour l’immensité des constellations dans l’antre si obscur de leurs petites et grandes tueries. Il offre l’inquiétude d’une schizophrénie collective où la mesquinerie du politique s’entremêle au délire des fractures et des indignations, où les masques de la pantomime précipitent dans l’abîme le théâtre immédiat, où les héros se clonent en écho de leurs désarrois, où les mots accentuent l’évanescence du baroque.
Témoin faussement puéril des orgies parentales, Hamlet dribble avec une mappemonde, tandis que le fossoyeur ensemence le terrain funéraire des multiples Yorick du souvenir. Clair obscur, brillance exacerbée jetée sur la noirceur des complots, rien n’est apaisé ni tendre, la parole amoureuse se fait insulte, l’inceste n’est jamais loin. Mélange des genres et des époques, que donne à voir l’anachronisme délibéré des costumes et des postures. Comment mieux rendre l’irréductibilité intemporelle de Shakespeare, sinon en en plongeant les racines dans les chœurs et les masques de la tragédie antique ? Les barreaux des lits et la débauche des agapes répondent à l’omniprésent portique, frontière mouvante mais inexpugnable entre raison et folie, entre traîtrise et dévoilement, horreur tragique et ricanement sardonique.
La traduction de Daniel Mesguich s’ancre résolument dans le baroque et le flamboyant, au risque d’une obscurité asphyxiante à laquelle elle n’échappe pas par moments. Jeu de mots pour jeu des maux, dont l’impression d’un « sur-jeu » peut-être superflu s’atténue dans le presque silence du carnage final, étonnant et bienvenu …
Ne boudons surtout pas notre plaisir ! William, Hamlet et Daniel, trois bons compères, n’ont décidément pas fini de nous surprendre. A.D. Cartoucherie - Théâtre de l’Épée de Bois 12e. Jusqu’au 30 novembre. Pour voir notre sélection de visuels, cliquez ici.


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