LA GUERRE DE TROIE N'AURA PAS LIEU

Article publié dans la Lettre n° 264


LA GUERRE DE TROIE N’AURA PAS LIEU de Jean Giraudoux. Mise en scène Nicolas Briançon avec Philippe Beautier, Nicolas Biaud-Mauduit, Nicolas Briançon, Olivier Claverie, Emma Colberti, Jean-François Guilliet, Lucienne Hamon, Maud Heywang, Thibaut Lacour, Pierre-Alain Leleu, Pierre Maguelon, Bernard Malaka, Elsa Mollien, Thomas Suire, Valentine Varela.
Sur la table de la grande pièce, les flutes à champagne attendent le retour des guerriers mais aussi l’arrivée des grecs. Au loin se dessinent les remparts de Troie. Vêtues de robes de cocktail, Andromaque et Cassandre devisent. Andromaque est fébrile. Elle attend le retour d’Hector son époux, général de l’armée, l’aîné de la famille et le maître de Troie qui rentre de la guerre. Elle porte leur enfant et voudrait vivre en paix. Cassandre, sœur d’Hector et de Pâris, l’assure pourtant du contraire. Pâris a enlevé Hélène à Ménélas, le redoutable roi de Sparte. Les grecs arrivent pour la reprendre et peut-être déclarer la guerre. Si Andromaque veut se convaincre qu’Hector va « fermer les portes de la guerre », Cassandre est certaine que « les portes se rouvriront le jour où les blés seront mûrs ». Hector arrive enfin. Il tente de rassurer sa femme puis réclame son frère afin d’exiger de lui de se séparer d’Hélène. Pâris survient, pantalon de lin et chemise blanche, décontracté, voire cynique. Il n’acceptera de se séparer d’Hélène que si celle-ci y consent de son plein gré. Amateur de femmes, elle ne représente pour lui qu’une conquête de plus. « Un seul être vous manque et tout est repeupler » et ce n’est pas Hélène, ravie de cet intermède amoureux, qui va le contredire ! Hector souhaiterait de lui un accord plus franc. Ils s’en remettent à leur père et roi Priam qui survient accompagné de sa femme Hécube. « Rendez-la vite aux grecs », recommande celle-ci. Mais ce n’est pas l’avis du géomètre ni de Démokos le poète, pas davantage celui des vieillards qui de loin, le cœur amoureux, regardent passer la silhouette éblouissante d’Hélène. «… Il n’y a plus que le pas d’Hélène, la coudée d’Hélène, la portée du regard ou de la voix d’Hélène et l’air de son passage est la mesure des vents ». Dans ses mains repose l’avenir des troyens et des grecs. Busiris, un spécialiste du droit des peuples intervient, puis Iris, la porte-parole des dieux, pendant qu’au loin on distingue déjà les voiles d’un bateau grec. A son bord Ulysse, venu en négociateur chercher la guerre ou la paix. Transposer l’action dans les années 30, rend la pièce de Jean Giraudoux encore plus intemporelle. Nicolas Briançon s’emploie brillamment à mettre en relief tout le sens du texte, grâce à cette ambiance particulière de l’Entre-deux-guerres, où le monde, ne retenant rien des leçons du passé, s’étourdit de frivolité, ne songeant pas à protéger l’avenir, « où le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse ». Il devient simple alors de deviner sous les mots une critique acerbe de la rhétorique diplomatico-politicienne. Au milieu de la tragédie pèse le poids d’une guerre qui s’annonce et contre laquelle ceux qui voudraient l’arrêter ne peuvent rien. Sur quoi repose la décision d’un désastre si ce n’est sur les mots pour convaincre ? Avec ceux du géomètre,du poète, de Busiris et d’Iris, puis enfin avec ceux d’Ulysse, l'auteur soupèse les intérêts. On ne fait pas la guerre pour une femme et la rhétorique politicienne est très forte pour cacher les véritables motivations d’un pays guerrier. La scénographie déborde du plateau, envahissant la salle jusqu' aux portes du théâtre, comme si l’ampleur du désastre à venir allait bien au delà de la scène. Là aussi Nicolas Briançon fait mouche, compris par des comédiens excellents, soudés dans la même action et restituant à merveille les envolées lyriques du texte. Théâtre Silvia Monfort 14e.


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