GRASSE
MATINEE
Article
publié dans la Lettre n° 303
GRASSE MATINÉE de René de Obaldia.
Mise en scène Thomas Le Douarec avec Cyrielle Clair, Marie Le Cam.
« Encore un jour tout neuf » ! Artémise s’éveille joyeuse, Babeth
un peu moins. Elles sont tout de même un peu à l’étroit et s’étirent
en grimaçant : l’une a mal au fémur, l’autre aux rotules. Voisines…
de cercueil, l’égalité chère aux êtres humains ne s’applique pas
à leur ensevelissement respectif: l’une « nage dans le chêne »,
l’autre dans le sapin ! Les deux femmes hantent le cimetière au
sens propre du terme, la première depuis plusieurs années, la seconde
depuis quelques mois seulement. Artémise a ainsi appris la patience.
Elle a eu tout le loisir de réfléchir à ce qu’elle fait là : une
halte sans doute pour recycler son mental, reconnaître ses erreurs
et se transformer. Babeth, elle, grince des dents et trépigne :
elle ne partage pas l’optimisme de sa voisine. Un corbeau qui leur
croasse dans les oreilles a un comportement qui lui rappelle Fernand,
son ancien amant. De là à penser que… Quoiqu’il en soit, Artémise
ne cache pas sa surprise de n’avoir rencontré personne durant tout
ce temps, pas l’ombre d’un squelette à l’horizon. Elle sont seules
au milieu des tombes désertes comme si tous les cadavres avaient
pris le train car, par bonheur, le cimetière se trouve à proximité
d’une voie ferrée. Artémise initie sa camarade de cercueil aux joies
d’identifier les trains selon l’heure… Entre deux convois, elle
se racontent leur vie et surtout leurs amours. L’une rêve qu’un
jour peut-être, le jour du fameux jugement dernier, un train l’emportera
vers le paradis, l’autre, plus terre à terre, espère reposer enfin
et faire la grasse matinée, tant qu’à faire, dans le cercueil en
chêne de sa copine si celle-ci l’a déserté …
Mr Klebs et Rozalie, Du vent dans les branches de Sassafras,
Obaldiableries, Au Bal d’Obaldia, l’Amour à trois,
autant d’œuvres originales où l’imagination débordante de René de
Obaldia fait miracle. Ses pièces abordent d’un ton badin des sujets
qui le sont moins, « d’un humour qui repose sur le sens tragique
de la vie », comme il se plaît à le dire. Avec Grasse matinée,
il laisse une fois de plus libre cours à sa fantaisie joyeuse. Sa
complicité avec Thomas le Douarec ne date pas d’hier : la mise en
scène de trois de ses œuvres les avait déjà réunis. Ce nouveau rendez-vous
ne peut être que jubilatoire. Le metteur en scène ne s’en prive
pas et choisit le parti d’une mise en scène originale et loufoque.
Sur scène, deux cercueils et deux squelettes en lambeaux bientôt
animés par nos deux trépassées, habillées des mêmes atours mais
en meilleur état ! Elles vont et viennent, s’agitent et s’exclament
avec ardeur, aussi désopilantes l’une que l’autre. Cyrielle Clair,
dans une forme spectaculaire, ondule et se démène jusqu’à un strip-tease
final aussi inattendu que délirant, Marie Le Cam lui donnant la
réplique avec talent. Si l’oeuvre mise en scène par Monique Mauclair
en 1991 nous avait laissé un joli souvenir, celle-ci ne déçoit pas.
Thomas Le Douarec, metteur en scène incontournable de sa génération,
nous réjouit une fois de plus. Théâtre des Mathurins 8e.
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