LA
GRANDE MAGIE
Article
publié dans la Lettre n° 293
LA GRANDE MAGIE de Eduardo De Filippo.
Texte français Huguette Hatem. Mise en scène Laurent Laffargue avec
douze comédiens et deux musiciens dont Nelly Antignac, Georges Bigot,
Patrice Bornand, Éric Bougnon, Dominique Charpentier, Anne Cressent,
Maury Deschamps, Éric Frey, Arthur Igual, Daniel Martin, Annabelle
Simon, Pascal Vannson.
En 1930 à Naples, à l’hôtel Métropole, le plagiste et les serveurs
s’activent pendant que les clients paressent au bord de l’eau dans
des transats tout en s’éventant. Les conversations vont bon train,
les commérages aussi, surtout en ce qui concerne Calogero et sa
femme Marta. La jalousie du mari amuse tout le monde surtout depuis
que Mariano d’Albino a pris la jeune épouse en photo parmi les autres
estivants. Le voici d’ailleurs distribuant ses clichés à chacun.
Calogero a tôt fait de déchirer ceux de sa femme après avoir brûlé
les négatifs. Ce soir, un grand spectacle est annoncé. Celui d’Otto
Marvuglia, un illusionniste de renommée internationale. Trois estivants
semblent bien le connaître pour avoir déjà pâti de son talent. Le
magicien est, selon eux, extraordinaire. Le soir arrive. Tous sont
installés. Après quelques tours, assisté par sa femme Marianinna,
Otto propose à Marta de l’enfermer dans un sarcophage et de la faire
disparaître. Contre l’avis de son mari, elle accepte et disparaît.
Le double fond a permis à Mariano d’Albino, follement amoureux d’elle,
de l’enlever. Il a payé Calogero en lui faisant croire qu’il ne
veut passer qu’un quart d’heure avec elle, mais les amants s’enfuient
à Venise. Otto n’est qu’un bonimenteur qui se sert de comparses
pour abuser de la crédulité d’autrui. Il n’a d’autre ressource que
de convaincre Calogero que la disparition de sa femme n’est qu’une
illusion et que s’il y croit, elle reviendra. Il lui donne une boîte
lui assurant que Marta est à l’intérieur : « Si vous avez foi
en elle, ouvrez cette boîte, mais si vous n’êtes pas convaincu,
ne l’ouvrez pas. Si vous ouvrez la boîte avec foi vous reverrez
votre femme, si vous n’y croyez pas, vous ne la reverrez jamais ».
Les mois passent. Otto criblé de dettes est harcelé par ses créanciers.
Quatre ans après la disparition de sa femme, Calogero, devenu à
moitié fou, ne s’alimente plus et sa famille songe fermement à le
mettre sous tutelle pour préserver le patrimoine familial. Il est
prêt à ouvrir la boîte, décidé à s’abandonner à son instinct, mais
Marta, revenue à Naples, survient…
D’origine napolitaine, auteur, acteur et metteur en scène, Eduardo
de Filippo (1900-1984) fut l’auteur d’un théâtre populaire, oscillant
entre le comique et le tragique. Il décrit la société de son temps
avec un réalisme désenchanté et un certain pessimiste. Représentative
de son théâtre, La grande magie en possède les caractéristiques
à la fois comiques, burlesques et tragiques. La pièce commence comme
une comédie à la Feydeau avec une femme, un amant et un mari cocu.
Mais la farce devient vite dramatique. La mise en scène et la scénographie
mettent magistralement en relief la profondeur du propos. Laurent
Laffargue dose avec art le genre du théâtre de boulevard puis la
gravité et l’émotion. Il dépeint avec subtilité le drame de Calogero,
entre réalité et illusion. Eduardo de Filippo n’aborde pas seulement
le thème de l’amour mais celui de l’existence même, avec le temps
qui passe et ce que l’on en fait, avec ses décisions aussi, parfois
impossibles à prendre. En se retrouvant avec une boîte qu’il doit
ouvrir ou ne pas ouvrir, son héros se laisse aveugler par les conseils
fumeux de Calogero durant quatre ans, ne sachant plus ce qu’il faut
croire ou ne pas croire, faire ou ne pas faire. Georges Bigot est,
disons-le, magistral dans ce rôle, faisant évoluer son personnage,
hautain et désagréable au début, dont l’assurance s’amenuise avec
les années jusqu’à une fin aussi inattendue que magnifique. Il est
entouré par onze excellents comédiens, chacun donnant beaucoup de
consistance, de charme et d’émotion au personnage qu’il incarne.
Une pièce d’une grande originalité, dont l’écriture et la construction
séduisent, remarquablement traduite et mise en scène. Théâtre
de l’Ouest Parisien - Boulogne Billancourt 92.
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