LE
GRAND THÉÂTRE DU MONDE suivi du
PROCÈS EN SÉPARATION DE L'ÂME ET DU CORPS
Article
publié dans la Lettre n° 226
LE GRAND THÉÂTRE DU MONDE suivi du
PROCÈS EN SÉPARATION DE L’ÂME ET DU CORPS de Pedro Calderón
de la Barca. Texte français Florence Delay. Mise en scène Christian
Schiaretti avec Catherine Salviat, Thierry Hancisse, Jean-Pierre
Michaël, Andrzej Seweryn, Michel Robin, Eric Ruf, Céline Samie,
Christian Cloarec, Madeleine Marion, Audrey Bonnet, Elsa Lepoivre.
L’oeuvre de Pedro Calderón de la Barca (1600-1681) s’inscrit dans
la période la plus faste de l’Espagne, dans tous les domaines, celle
du Siècle d’Or. Deux genres occupaient alors la scène du théâtre
espagnol, la comedia, qui mêlait le tragique et le comique et les
autos sacramentales.
L’acte sacramental était une composition dramatique en un acte,
allégorique, ayant trait au mystère de l’Eucharistie. Il était conçu
comme l’apothéose populaire du dogme catholique face à l’hérésie
protestante. Représenté sur scène, en plein air, durant les fêtes
de la fête Dieu, il était destiné à un large public populaire. Les
autos sacramentales de Calderón sont l’un des produits les plus
caractéristiques de la culture espagnole baroque, tant pour l’exubérance
du facteur ornemental, par la fusion synthétique de différents éléments,
idéologiques, dramatiques, poétiques et scénographiques, ou pour
son contenu théologique, que pour l’emploi systématique de l’allégorie.
Dans Le Grand Théâtre du Monde, se dramatise l’idée de la
vie comme représentation théâtrale, dans laquelle les hommes jouent
le rôle assigné par l’auteur du ciel et de la terre, allégorie
de Dieu. Celui-ci a décidé de donner une fête, une représentation
de la comédie humaine. Il délègue au Monde le soin de trouver
les acteurs de la comédie qu’il veut représenter, puis leur attribue
les rôles du roi, de la beauté, du riche, du laboureur, du pauvre,
de la sagesse et de l’enfant. Les acteurs ont pour seul orientation:
« Aime ton prochain comme toi-même et agis bien car Dieu est Dieu
». La mort va venir interrompre la représentation. Après avoir rendu
leur costume, tous vont se présenter devant l’auteur qui décidera
qui a assez bien joué sa partie pour pouvoir être convié au banquet
final.
Dans Le Procès en séparation de l’âme et du corps, « l’âme
éternelle, née de l’esprit de Dieu, va s’unir au corps mortel pour
donner la vie ». Si l’âme apporte avec elle ses facultés, la mémoire,
l’entendement et la volonté, le corps va apporter ses sens. L’un
et l’autre vont tenter de faire ensemble les choix de la vie. Mais
leur discorde, attisée par le péché, amoureux de l’âme et jaloux
du corps, sera telle que l’âme demandera sa séparation d’avec le
corps. Le péché sera aidé dans son entreprise par la mort qui, seule,
peut désunir l’âme et le corps. Théâtre dépouillé, sans artifice,
l’acte sacramental tient sa force uniquement du texte. Traduire
Calderón comme le mettre en scène, ce n’est pas seulement représenter
l’oeuvre d’un auteur dramatique, c’est restituer la pensée du philosophe
et du théologien, tout en respectant la forme poétique. Florence
Delay, dans sa remarquable traduction, tout comme Christian Schiaretti
dans sa mise en scène épurée, respectent à la lettre ces différents
paramètres. Il mettent très bien en valeur la pensée théologique
de l’époque, l’opposition, entre autres, entre la Réforme, pour
qui seuls les actes de foi permettaient à l’âme d’accéder à l’état
de grâce, refusant ainsi la valeur des oeuvres de charité, et la
Contre-Réforme, pour qui « les bonnes oeuvres » étaient l’un des
éléments majeurs permettant l’accès au chemin du salut. La puissance
de la monarchie et de l’église est également très marquée, la religion
cautionnant les actes royaux. Les comédiens, comme toujours exceptionnels,
donnent corps et âme de façon éblouissante au personnage qui leur
est dévolu, grâce à l’humour des dialogues et la cocasserie des
jeux de scène. Un spectacle d’une rare qualité qui rend accessible
au public d’aujourd’hui toute la philosophie de l’Espagne du XVIIe.
Comédie Française 1er. En alternance jusqu’au 15 mai 2004.
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