GOOD
CANARY
Article
publié dans la Lettre n° 276
GOOD CANARY de Zach Helm. Adaptation
Lulu et Michael Sadler. Mise en scène John Malkovich avec Cristiana
Reali, Vincent Elbaz, José Paul, Ariel Wizman, Jean-Paul Muel, Stéphane
Boucher, Bénédicte Dessombz.
Sur le fond sombre de la scène, quelques phrases explicatives sont
projetées en préambule, dont une mise en garde: Un être humain ne
peut réussir son destin s’il n’est pas capable de penser et d’agir
par lui-même et s’il agit à travers le regard des autres et non
à travers le sien. La signature de John Malkovich, souhaitant au
spectateur de passer une bonne soirée, donne le ton ! Se dessine
alors, depuis l’obscurité, la silhouette d’une jeune femme assise.
Elle se maquille. Ses gestes désordonnés trahissent un malaise.
Puis une photo apparaît, la première d’une suite de lieux qui forment
le décor, celle d’une rue de Brooklyn. Annie est assise à la terrasse
d’un café en contemplation devant l’une de ses chaussures. Jacques,
son mari arrive avec un journal. Son premier roman vient de paraître
et l’article du critique newyorkais le plus en vue est déterminant.
Le bonheur est au rendez-vous. Contre toute attente, celui-ci a
aimé le roman sulfureux et provocateur. Pour Jacques, cela signifie
l’assurance du succès, la reconnaissance du milieu littéraire et
peut-être un contrat avec la plus grande maison d’édition. Mais
le couple vit mal le succès de ce roman dont l’histoire semble inspirée
d’un vécu douloureux. Annie, ne pouvant supporter le regard des
autres, est anorexique et s’est enfermée depuis longtemps dans la
spirale infernale de la drogue. Rien, pas même le succès de ce livre,
ne semble pouvoir l’en arracher. Jacques est partagé entre la femme
qu’il aime avec passion et qu’il voudrait sauver d’elle-même et
la perspective des retombées financières du roman qui les mettraient
à l’abri du besoin.
Cette pièce de Zach Helm, scénariste de 31 ans, se situe dans le
milieu de l’édition. Mais si elle décrit la difficulté pour les
auteurs d’écrire, de justifier leur oeuvre et de supporter le regard
des autres et leurs critiques, sa pièce soulève bien d’autres thèmes.
L’amour violemment passionné d’un couple, le poids d’un passé douloureux
et insurmontable, la dépendance de la drogue et la dérive vers l’auto-destruction.
Après le succès d’Hystéria en 2002, John Malkovich met en
scène avec maestria cette pièce en création mondiale. Metteur en
scène habile et perfectionniste, il lui fallait un décor à la mesure
de son exigence pour donner vie à l’écriture dense et tragique de
l’œuvre, dont l’adaptation est remarquable. Le génie de Pierre François
Limbosch fait merveille. Sur le plateau du théâtre, six grands cubes
s’articulent en trois dimensions et s’agencent au millimètre près.
Sur eux sont projetés avec une incroyable précision les différents
décors, rue, terrasse de café ou intérieurs. Les tables, chaises
et lits qui vont et viennent sur rail, meublent l’ensemble avec
ingéniosité. Année après année, depuis le cours Florent et sa rencontre
avec Francis Huster, Cristiana Reali a travaillé et accumulé des
rôles de toutes sortes. Aujourd’hui confortée par une maturité tant
physique que professionnelle, elle aborde ce rôle d’une manière
stupéfiante. Elle parvient avec une émotion palpable et sans excès
à rendre son personnage tout à la fois fragile, blessé, torturé,
hystérique, agaçant et insupportable et tient ce rôle sans faiblir
jusqu’à sa dernière scène. Mais son jeu ne doit pas occulter celui
de Vincent Elbaz. Face à ce phénomène, sa présence est indéniable.
Il est en accord complet, en véritable osmose, avec sa partenaire.
Il la révèle, la soutient tout en jouant sa partie avec une conviction
sans faille, se montrant très émouvant dans les deux dernières scènes
lorsqu'il exprime le doute, la culpabilité puis la surprise de sa
découverte. Leur formidable interprétation ne fait pas oublier non
plus celle des autres comédiens, tous excellents, José Paul , étonnant
dans un rôle à contre-emploi.
Tous ensemble, auteur, adaptateurs, metteur en scène, comédiens,
équipe technique et musicale se sont unis pour nous offrir un spectacle
intelligent, rare et délicat, infiniment touchant, à ne manquer
sous aucun prétexte. Théâtre Comedia 10e. Pour
voir des visuels de la pièce, cliquez ici.
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