GARY
/ AJAR
Article
publié dans la Lettre n° 278
GARY / AJAR d’André Asséo. Adaptation
et mise en scène Christophe Malavoy avec Christophe Malavoy.
Pour beaucoup de lecteurs qui ont lu et aimé Romain Gary et décelèrent
chez l’écrivain de La promesse de l’aube et Les racines
du ciel l’étoffe d’un homme d’exception, « l’affaire Ajar »
resta une énigme non résolue. Pourquoi n’avait-il pas revendiqué
la paternité de La vie devant soi le jour de l’obtention
du prix Goncourt, faisant avec cette supercherie géniale un grand
pied de nez à ses détracteurs? Cela l’avait pourtant tenté mais
un « et puis merde ! » avait arrêté son élan. Aujourd’hui, en adaptant
la pièce d’André Asséo, ami et confident de Romain Gary, Christophe
Malavoy lève le voile sur cette interrogation, confortant les inconditionnels
de l’écrivain dans l’admiration qu’ils avaient pour lui mais intensifiant
par là même leur regret de l’avoir perdu.
Un homme dont la mère écrit des dizaines de lettres avant de disparaître
afin qu’une fois morte son fils n’en sache rien et continue de recevoir
de ses nouvelles, néanmoins surpris de ne pas obtenir de réponse
à ses questions, ne peut pas être un homme ordinaire. Né puis arraché
à un pays où il aurait dû mourir, Romain Gary fut porté et gardé
à la vie par une mère exceptionnelle. Il mena une guerre un peu
particulière en Angleterre, vécut des années fastes et folles en
tant que diplomate, aima trois femmes dont deux le plongèrent dans
le plus grand désespoir. Tout au long de cette vie remplie, il observa
le monde qui l’entourait avec clairvoyance. Il lutta dans l’espoir
de voir naître une culture plus humaniste, combattit l’injustice,
le racisme, la contamination de l’environnement, en un mot ce qu’il
nommait « la connerie humaine ». Il ne cessa d’écrire car il éprouvait
aussi, disait-il, le besoin de se « séparer de lui-même », l’espace
d’un livre. « Re-naître », être un autre que lui-même, fut le rêve
qu’il poursuivit toujours et n’atteignit jamais, même s’il caressa
cette ivresse lorsqu’il se fabriqua secrètement l’identité d’Emile
Ajar.
L’écriture de la pièce d’André Asséo n’est pas celle d’un biographe
ordinaire mais celle d’un ami qui a partagé certains secrets et
fait revivre cette complicité par l’intermédiaire d’une plume qui
se veut objective mais ne peut en écarter l’attachement. Elle résume
parfaitement l’essentiel de la vie de Romain Gary et souligne l’acharnement
de ses ennemis à détruire celui qui dérangeait par sa culture, son
intelligence, sa perspicacité et la richesse intellectuelle de ses
œuvres. Il n’était pas bon de se faire remarquer dans un monde régi
par la médiocrité. Romain Gary en fit la triste expérience et c’est
pourquoi il le quitta. Christophe Malavoy extrait intelligemment
le suc de cette figure inclassable de la littérature française pour
l’offrir aux regards dans toute son humanité, sans doute parce que
celle-ci l’a lui-même ému et fasciné. Sa mise en scène rigoureuse
joue avec les lumières et utilise la projection de photos d’époque
avec autant d’habileté que de subtilité. Le comédien, quant à lui,
subjugue par sa simplicité un public suspendu à ses lèvres. Petit
Montparnasse 14e.
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