GABRIEL(LE)
Article
publié dans la Lettre n° 195
GABRIEL(LE) d’après « Gabriel
» de George Sand. Adaptation et mise en scène Gilles Gleizes avec
Olivier Achard, Jauris Casanova, Christophe Garcia, Isabelle Legueurlier,
Philippe Maymat, Sarah Mesguich, Sylvie Ollivier, Daniel Schröpfer.
Depuis sa plus tendre enfance, le prince Gabriel a été élevé
à l’écart du monde, dans l’étude, les préceptes stricts de la religion
et dans la plus grande liberté, mais dans l’ignorance totale de
son véritable sexe. Son grand-père, Le prince de Bramante, a décidé
de lui léguer titre et fortune au détriment d’Astolphe, cousin de
Gabriel, héritier légitime. Le jour vient où le vieil homme annonce
à Gabriel qu’il est du sexe féminin mais qu’il devra continuer de
le cacher s’il veut hériter. Gabriel(le) révolté(e), décide de partir
à la recherche de son cousin afin de s’en faire un ami et de partager
avec lui sa fortune. Ils se rencontrent mais sont immédiatement
troublés l’un par l’autre. Gabriel sait pourquoi et en souffre,
mais Astolphe ne comprend pas cette attirance pour son cousin. Un
soir pourtant, la vérité lui éclate au visage. Un amour profond
va les unir qu’ils devront vivre clandestinement. Cependant, si
Gabrielle est une femme, elle a reçu l’éducation d’un homme.
George Sand a couché ce roman dialogué sur le coin d’une table en
1839, en pleine mouvance romantique. Il était destiné à être publié
en feuilleton. A cette époque, ses oeuvres sont des échecs. Suivant
les conseils de Balzac, elle tente de remanier Gabriel pour qu’il
soit joué, mais les intrigues théâtrales et politiques ainsi que
le sujet de la pièce, jugé sulfureux, seront des obstacles impossibles
à contourner.
Gilles Gleizes s’est mis au travail, refaisant avec belle inspiration
une adaptation du roman dialogué pour le théâtre, intégrant même
des phrases d’autres oeuvres de l’auteur. La réussite est incontestable.
Si le sujet du travestissement est l’un des grands thèmes du théâtre
et de la littérature, on est ici frappé par l’audace des propos
et par leur modernité. D’un coup de plume vif et acéré, George Sand
bouleverse les conventions et met le doigt sur tout ce qui règne
en maître depuis toujours dans notre société: la misogynie, voire
la haine et le mépris de l’homme pour la femme, son goût de la puissance
et de la domination, sa faiblesse pour l’argent, la fortune. De
l’autre côté de la balance, elle dresse un constat assez féministe
de la femme et de sa recherche constante et prioritaire de l’amour
absolu qui primera toujours chez elle sur toute autre considération.
La mise en scène et la scénographie écartent avec maestria la grande
difficulté de la multiplicité des lieux et du passage du temps qui
avaient lieu d’être puisqu’il ne s’agissait que d’une oeuvre destinée
à être lue. On est bien loin du rigoureux principe: en un seul jour,
en un seul lieu, une seule intrigue. Et pourtant, il y a dans cette
oeuvre toutes les qualités d’une grande tragédie classique. Ce qui
frappe surtout c’est la profonde connaissance de l’âme dans la démonstration
de l’auteur. On est aussi touché par la véracité, la profondeur
de l’étude des caractères et des sentiments et par la beauté du
texte, remarquablement travaillé par Gilles gleizes et restitué
par des comédiens formidables, Sarah Mesguich en tête. Balzac avait
vu juste lorsque, lisant le roman dialogué deux ans après son écriture,
il l’avait comparé à du Shakespeare. Venant de lui, ce n’était pas
un mince compliment. Théâtre 14 Jean-Marie Serreau 14e (01.45.45.49.77).
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