LES
FOURBERIES DE SCAPIN
Article
publié dans la Lettre n° 286
LES FOURBERIES DE SCAPIN de Molière.
Mise en scène Arnaud Denis avec Jean-Pierre Leroux, Arnaud Denis,
Bernard Métraux, Jonathan Bizet, Géraldine Azouélos, Elisabeth Ventura
ou Eloïse Auria, Stéphane Peyran, Alexandre Guansé, Sébastien Tonnet.
« Que diable allait-il faire dans cette galère ? ». Combien
de fois avons-nous entendu cette réplique de la bouche du pauvre
Géronte, peu enclin à se délester des cinq cents écus pour, comme
lui en conjure Scapin : « Sauver des fers un fils que vous aimez
avec tant de tendresse » ! D’aucuns se sont peut-être même parfois
demandés ce qu’ils faisaient eux aussi à cet instant, dans cette
galère-là, otages d’une mauvaise représentation !
Arnaud Denis met brillamment en scène les fourberies d’un Scapin
de vingt-quatre ans, dont il endosse le rôle, fort d’une enfance
passée dans les rues de Naples et d’une prime jeunesse où « un
démêlé avec la justice » l’a conduit en prison. Fort loin du
Scapin, homme mûr et d’expérience dont Molière brossa le portrait
deux ans avant sa mort, le Scapin d’Arnaud Denis hait et nous le
fait savoir « ces cœurs pusillanimes qui, pour trop prévoir la
suite des choses n’osent rien entreprendre ». Il se jette à
corps perdu avec l’ardeur, l’insouciance et l’inconscience de la
jeunesse dans des entreprises qui ne lui rapporteront en fin de
compte que la gratitude de deux jeunes gens amoureux et la mansuétude
de deux pères trop heureux d’avoir retrouvé leurs filles égarées
dans les tribulations amoureuses de la vie. Quelques marches, un
cordage, trois tonneaux, des seaux et un cageot qui fera bien son
office de bouclier au moment opportun, et nous voici transportés
sur un quai du port de Naples. L’illusion de ce décor est si parfaite
que nous imaginons presque la galère, mouillant un peu plus loin
et objet de tous les désordres. Jean-Pierre Leroux (Géronte) et
Bernard Métraux (Argante), remarquables en pères trahis par des
fils ingrats, sont de par leur grande expérience, les pierres de
ce travail d’orfèvre, le reste des comédiens en constituant le mortier.
Pleins d’ardeur fiévreuse, Jonathan Bizet (Léandre) et Alexandre
Guansé (Octave) jouent à merveille les deux fils amoureux, ivres
de l’être, mais terrifiés par la réaction paternelle suite à l’audace
d’avoir lié leur cœur sans leur consentement. Géraldine Azouélos,
est une formidable Zerbinette, impayable dans la fameuse scène du
récit du piège tendu qu’elle fait sans le savoir à la victime. Dans
le rôle de Hyacinte, la seconde jeune fille objet de tous les désirs,
nous retrouvons avec plaisir Elisabeth Ventura, au talent déjà remarqué
dans le rôle de l’infante de Navarre de La reine morte de
Montherland au Théâtre 14. Stéphane Peyran, Sylvestre inénarrable,
la moustache en perdition, et Sébastien Tonnet ne sont pas en reste,
loin s’en faut, ce dernier campant, en plus du rôle de Carle, une
Nérine tout à fait désopilante. Tous forment une véritable troupe
autour d’Arnaud Denis dont la mise en scène d’une fulgurante énergie
et d’une folle gaîté nous laisse à la fois ébahis et étourdis. Il
nous gratifie au passage d’un Scapin éblouissant, aussi désinvolte,
insolent, féroce, comique, imaginatif, délirant, bref, à la jeunesse
aussi ardente qu’il le souhaitait.
Après la création de cette pièce en 2006 au Lucernaire et
une tournée triomphale, le succès continue pour Arnaud Denis et
ses comédiens au Petit Montparnasse 14e.
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