LES FORAINS

Article publié dans la Lettre n° 281


LES FORAINS de Stephan Wojtowicz. Mise en scène Panchika Velez avec Didier Brice, Nathalie Cerdà, Maxime Leroux, Aliénor Marcadé-Séchan, Matthieu Rozé.
C’est le soir, il est 21h52 pour être précis. Du haut de son promontoire, Eddie observe la voie de chemin de fer en contrebas. Ses journées s’écoulent au rythme des trains. Il ne font que passer à toute allure mais il compte les wagons et consigne les allées et venues de chacun dans un calepin. Le train de nuit survient mais contre toute attente il s’arrête. Bizarre mais logique : le feu est passé au rouge. Le plus surprenant du reste c’est qu’une fille en descend et se dirige vers la caravane d’Eddie et de Jackie. Hélène a obéi à une pulsion. Elle vient d'abandonner son mari dans le train pendant qu'il dormait. A trente-deux ans, elle a envie de « prendre du recul ». Elle entame la conversation avec Eddie et sa femme. Mais attention: « On t’accueille pas » souligne celui-ci, méfiant. La ville la plus proche est à quatorze kilomètres et le camion est en panne. Nono le frère, est parti chercher la pièce et ne revient pas, sans doute stoppé dans son élan par quelques verres. La présence d’Hélène n’enchante pas Eddie installé devant ses raviolis qu’il enfourne de façon toute personnelle. Et voici qu’Olivier, descendu voir pourquoi le train s’arrêtait, est resté sur la voie lui aussi. Eddie a un tempérament impulsif de nature, surtout depuis qu’il a arrêté de boire. L’arrivée de ces deux étrangers le dérange. C’est alors que Nono finit par rentrer avec la pièce. La soirée passe, au rythme du gros qui tache, des raviolis que l’on réchauffe, de la chienne qui gueule, de la conversation qui s’échauffe. La soirée commencée sans trop de heurts va tourner au cauchemar.
Le nom de Stephan Wotjtowicz a brillé en 2006 lorsqu’il a reçu le Molière de meilleur auteur pour La Sainte Catherine (Lettre 252). La guerre à l'arrière, dans un hôpital de fortune, et ses rencontres improbables était alors un sujet qu’il avait traité avec maestria. Les Forains est aussi le théâtre de rencontres improbables. Le décor très réaliste de Claude Plet occupe parfaitement l’espace avec le campement dit provisoire, la table de camping et ses trois tabourets, quelques cageots épars, la caravane où moisissent les nougats et la remorque où rouille un manège, échouées là au milieu de nulle part, entre la voie ferrée et la décharge dont on nous laisse imaginer l’odeur. Deux mondes se télescopent. Celui « sauvage » des trois forains tout en instinct et celui « normal » des deux voyageurs qui pensent détenir la vérité avec leurs opinions toutes faites et leurs bonnes intentions. Cette rencontre impensable, Stephan Wojtowicz la cerne avec une verve caustique. Le contraste des personnages lui permet de brosser des portraits réjouissants, l’âpreté des uns répondant à la fragile assurance des autres. Les rôles sont équilibrés, le casting pertinent. Maxime Leroux campe un Eddie pour le moins extravagant, brute épaisse avec son opinel des familles et sa force mal contrôlée. Nathalie Cerdà est une Jackie qui en a vu d’autres, mâtant son homme à grand renfort de « stop!, contrôle! » reçus cinq sur cinq par cet échappé de l’asile qu’il ne faut surtout pas contrarier. Le fréro, ou tout comme, Nono abruti par l’alcool, est joué par Didier Brice, d'un naturel confondant. Face à ces personnages ahurissants, en marge d’une société qui les rejette, Aliénor Marcadé-Séchan est une Hélène aux bonnes manières et à la conversation complètement décalée et Matthieu Rozé un Olivier tout de blanc vêtu, policé, même si les mots qui sortent de sa bouche ressemblent tous à des gaffes. Panchika Velez les met en scène avec une formidable poigne. Visuel du spectacle, cliquez ici. Théâtre La Bruyère 9e.


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