LA FOLLE DE CHAILLOT
Article
publié dans la Lettre n° 351
du
4 mars 2013
LA FOLLE DE CHAILLOT de Jean Giraudoux. Mise en scène Didier Long avec Annie Duperey, Dominique Pinon, Catherine Salviat, Romain Apelbaum, Jean-Paul Bordes, Stéphanie Caillol, Jacques De Cande, Franck Capillery, Fabienne Chaudat, Catherine Hosmalin, Matthias Jung, Antoni Klemm, Gaëlle Marie, Adrien Melin, Jean-Jacques Moreau, Frédéric Rose, Geoffrey Sauveaux, Martin Schwietzke, Laurent Spielvogel.
À Chaillot, non loin du pont de l’Alma, la terrasse de « Chez Francis» est fréquentée par un petit groupe d’individus aux mines patibulaires. Costumes trois pièces, gants blancs, lunettes noires, ils fomentent un complot de choc : creuser le sol de Paris et plus particulièrement le quartier de Chaillot, pour en extraire son pétrole. Leur credo est le profit qu’ils en tireront et ils sont décidés coûte que coûte à parvenir à leurs fins, même s’il faut recourir au meurtre. Mais autour de ces dangereux et fortunés comploteurs, gravite une faune bigarrée, menée par une autorité originale, parée d’atours extravagants et outrageusement maquillée. Hier comtesse, aujourd’hui gérante du café, la folle de Chaillot a vent du projet. Du pétrole à Chaillot ? Même l’eau des carafes de Chez Francis en a le goût ! Tout en déplorant la perte de son boa de trois mètres de long en plumes fauves, la comtesse, pas si folle, garde les pieds sur une terre qui ne tourne plus rond. Elle rameute contacts, connaissances et amis afin d’étouffer dans l’œuf l’indigne projet de ces « mecs », comme les nomme le chiffonnier, qui se disent constructeurs mais détruisent tout. « Le monde file un mauvais coton », mais la comtesse et sa cour des miracles, petit peuple de Paris, ont plus d’un tour dans leur sac. Au monde froid des attachés case, des oreillettes et des portables, va s’opposer celui chaleureux des petits métiers : vendeur de lacets, bouquetière, jongleur, chanteur des rues, cafetier, plongeuse ou chiffonnier.
Ce conte fantastique et poétique de Jean Giraudoux dénonce l’avidité des hommes et la soif de profit aux dépens de l’équilibre de la planète, pamphlet déjà sur les lèvres et sous la plume de certains de ses aînés, Octave Mirbeau entre autres. Cette dénonciation fait étrangement écho aux aberrations écologiques d’aujourd’hui, aux ressources pétrolières qui s’épuisent, aux débordements boursiers, à la loi du profit.
Didier Long se donne les moyens de cette pièce emblématique. Sa mise en scène flamboyante est flattée par les lumières de Laurent Béal. Bernard Fau réalise un superbe décor qui évolue du sol parisien avec sa petite place, monde visible et connu, au sous-sol glauque et humide d’un monde invisible et angoissant, le lien poétique étant un arbre dont le tronc et les branches, puis les racines, aparaissent tour à tour. Les costumes aussi contrastés qu’inventifs sont à l’avenant. Aux effets délirants et chamarrés des folles et de certains de leurs comparses, s’opposent ceux noirs et blancs très stricts des « comploteurs ». Ce déploiement foisonnant est l’écrin d’un texte incisif dit par dix-neuf comédiens galvanisés, menés tambour battant par Anny Duperey et Dominique Pinon. Un spectacle saisissant qui donne à voir, à entendre et à ressentir. Comédie des Champs-Elysées 8e.
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