LES FLEURS GELÉES
Article
publié dans la Lettre n° 321
du
17 janvier 2011
LES FLEURS GELÉES de Henrik Ibsen
et August Strindberg. Mise en scène Léonard Matton avec Julie Cavanna,
Marjorie de Larquier, Mathias Marty, Léonard Matton, Alexis Michalik
ou Benjamin Penamaria, Nicolas Saint-Georges.
Solhaug château médiéval, Gudmund son seigneur rubicond et viveur,
et la jeune épouse frustrée, Margit. Arrive Knut, un Viking paillard
qui, au nom d’un pari scellé au cours d’une beuverie, vient réclamer
l’alliance de Sygne, la jeune et ravissante sœur de Margit. Margit
s’ennuie, nostalgique de son amour de jeunesse, Bengt, qui fait
sa réapparition après de nombreuses années. On croirait aux retrouvailles
heureuses, elle croit à une fuite possible, mais c’est de Sygne
que Bengt tombe amoureux. Elle est évaporée, immature, inconséquente,
et cet amour la ravit. La jalousie de sa sœur se tait et ces amours
seraient délicieuses, si le méchant Knut ne venait troubler la fête
en rappelant à Bengt son sort de paria. Et il en a hélas le pouvoir
puisqu’il est bailli attitré du roi. Les noces ont néanmoins lieu,
les amoureux rejoignent les terres trop longtemps désertées de Bengt,
qui va entreprendre à l’insu de sa capricieuse épouse de sortir
de cette pauvreté. C’est sans compter avec la vengeance à retardement
du diabolique Knut qui, par un prêt octroyé au vaillant travailleur,
le tient à la gorge. Sygne se lasse de l’apparente désertion de
son époux, trop harassé de labeur pour lui témoigner des tendresses
omniprésentes. La pauvreté et le mensonge ont raison de l’amour
et la complicité conjugale se délite au profit de l’abominable Knut
qui s’apprête à violer sans vergogne l’écervelée trop crédule, avec
l’aide de son âme damnée, Erik. Sygne sera sauvée in extremis par
l’époux survenu à temps, qui tue le méchant et son affidé. Mais
le poison était là …
Rien d’inédit dans ce récit convenu de jalousies, frustrations,
violences, vengeances, à la sauce médiévale et nordique. Deux textes
sont à l’origine de cette création, l’un, d’Ibsen, constitue le
premier volet de l’histoire, le second en est la continuation concoctée
par Strindberg.
La mise en scène confère à l’ensemble son unité, située dans deux
espaces successifs, celui de la séduction et des noces, puis celui
de la déconvenue, du désamour et de la catastrophe. Le premier univers
est sombre, à l’image de la brutalité masculine et de la désespérance
de Margit. Le second est lumineux, en contraste paradoxal avec les
amours entachées de déception et de dépression de Sygne, l’impuissance
déchirée de Bengt et la violence maligne de Knut. Au centre, la
figure douloureuse et tutélaire de Margit. Les costumes eux aussi
contribuent à colorer vivement l’espace. De matières et de formes
excessives, ils tiennent à la fois du clinquant lamé de Superman,
du fleuri naïf des amours puériles, de la boursouflure à l’aune
de l’odieuse virulence du méchant.
La musique, d’une facture originale, vient scander, en didascalies
chantées collectivement ou par Margit seule, l’inexorable progression
vers la tragédie.
Ce spectacle étonnant, inattendu, entre farce et tragédie, est porté
par de très bons acteurs pertinents et efficaces et nous fait réfléchir
de manière déconcertée et déconcertante, mais intelligemment menée,
à la permanence immémoriale des comportements humains. Un beau moment
théâtral. Théâtre 13 13e. A.D.
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