FIN DE PARTIE

Article publié dans la Lettre n° 289


FIN DE PARTIE de Samuel Beckett. Mise en scène Charles Berling et Christiane Cohendy avec Charles Berling, Dominique Pinon, Gilles Segal, Dominique Marcas.
La salle est dans une semi obscurité. Les murs nus sont épais. Deux fenêtres voilées et hors de portée de vue, donnent l’une sur la terre, l’autre sur la mer. Au centre de ces lieux profonds comme des tombeaux, Clov s’affaire. A l’aide d’un escabeau, il tire tant bien que mal les rideaux puis enlève les draps qui recouvrent deux poubelles et un fauteuil. Il semble qu’une nouvelle journée commence, semblable à celle d’hier mais aussi à celle de demain. Dans les poubelles sont relégués Nell et Nagg, les parents de Hamm. Le fauteuil est une chaise roulante occupée par Hamm, aveugle tétraplégique. En attendant que celui-ci le « siffle », Clov va, vient et soliloque: « Fini, c’est fini, ça va peut-être finir ». Hamm sort d’un rêve: « Il est temps que cela finisse, mais j’hésite encore à ce que ça finisse ». Puis il s’empare de son sifflet et siffle.
Hamm est le maître, Clov le valet mais aussi le fils adoptif. Clov affirme vouloir quitter Hamm ou le tuer mais le courage lui manque. Nell et Nagg sortent de temps en temps la tête de leur poubelle. L’un réclame sa bouillie, l’autre se plaint d’avoir froid. Ils finissent leur vie là, égrenant les souvenirs des temps heureux lorsque, fiancés, ils se promenaient en tandem au bord du lac de Côme. Hamm considère son « maudit progéniteur » avec colère: « Pourquoi m’as-tu fait » ? « Je ne pouvais pas savoir ». « Savoir quoi »? « Que ce serait toi ». Bientôt le couvercle de la poubelle de Nell ne s’ouvrira plus. Puis Clov revêtira les habits d’un possible départ vers un ailleurs où il perçoit la silhouette d’un enfant. Hamm reste seul : « J’amorce mon dernier soliloque […] tu réclamais le soir, il descend, le voici ». « C’est joli », conclut-t-il, comme un dernier hommage au poète des Fleurs du Mal.
Fin de Partie, deuxième pièce de Samuel Beckett à avoir été représentée, a été créée en français à Londres en 1957. Le théâtre de Beckett est généralement classé comme appartenant au « théâtre de l’absurde ». Fin de partie semble en être une illustration, car la pièce constate l’absurdité de l’existence humaine. Sa structure est novatrice puisqu’elle ne se compose que d’un seul acte et ne comporte pas d’intrigue particulière, simplement un moment qui passe pendant lequel s’expriment quatre personnages handicapés qui mènent une existence absurde dans un monde absurde. Dépendants l’un de l’autre, Hamm et Clov se côtoient dans la solitude et sont confrontés à l’absurdité de leur propre existence. Ils entretiennent une sorte de relation sadomasochiste et donnent l’impression d’être les pions d’une partie d’échecs dont se joueraient les derniers coups.
Charles Berling conseillé par Christiane Cohendy savait que les nombreuses didascalies apportées par Beckett lui donneraient peu de liberté. Il savait aussi que les silences et les répétitions jouent un rôle à part entière dans le théâtre de l’auteur. Il restitue donc l’âme de ce huis clos pour le moins étrange avec fidélité et respect. Le décor sert remarquablement les scènes qui se succèdent de façon très fluide et s’articulent sans effort grâce au talent des comédiens. Dominique Pinon, royal dans son fauteuil roulant, privé de ses jambes et n’ayant que les mots pour s’exprimer, Charles Berling excellent dans le rôle ingrat de Clov, à mi chemin entre la servilité et le détachement, Gilles Segal et Dominique Marcas, prisonniers amputés depuis la taille, sont eux aussi remarquables. « Rien n’est plus drôle que le malheur » conclut Nell après une anecdote racontée par Nagg. Cette réplique paradoxale, la plus importante de la pièce selon Beckett, reflète bien l’oeuvre et en contient toute la complexité: en principe, on ne se réjouit pas du malheur. Théâtre de l’Atelier 18e.


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