
FIN
DE PARTIE
Article
publié dans la Lettre n° 260
FIN DE PARTIE de Samuel Beckett. Mise
en scène Bernard Levy avec Gilles Arbona, Marie-Françoise Audollent,
Thierry Bosc, Georges Ser.
Le spectateur ne peut ignorer les didascalies de l’auteur, projetées
sur le fin rideau de l’avant-scène. Le choix de Bernard Levy est
clair : respecter à la lettre le texte et ses intentions. Le décor,
au matériau aussi judicieux qu’original, suit les recommandations
de Samuel Beckett : une grande pièce dépourvue de meubles avec deux
petites fenêtres ouvertes sur le monde extérieur mais bien trop
hautes pour le regard direct des personnages. A gauche, deux poubelles.
A droite, une porte étroite qui donne sur l’office.
Clov s’active. Valet méticuleux, il déambule avec difficulté, portant
le poids de sa vie sur ses épaules mais aussi dans les jambes. Hamm,
son maître, est assis dans son fauteuil à roulettes, cloué là par
les ans, les yeux morts. Dans cet espace vide, huis-clos tragique
des rapports humains, il ne lui reste qu’à attendre. Alors, sifflet
à la bouche, il tyrannise Clov. Face à face, comme deux joueurs
d’échecs, chacun déplace les dernières pièces d’une fin de partie,
pendant que Nagg et Nell les parents de Hamm s’éteignent doucement,
lovés dans une poubelle. Les mots suggèrent présent et passé. Clov,
entré au service de Hamm, a un passé douloureux mais se trouve sans
mémoire. Il quittera son maître le laissant vivre sa déchéance,
sans espoir, pas même celui « que la mer et les rivières redeviennent
poissonneuses ».
Si Samuel Beckett, né à Dublin, commença à écrire en anglais, le
français supplanta très tôt cette langue dans ses écrits. Il prit
même le soin de traduire lui-même ses œuvres antérieures. Là résidait
l’une des particularités de son style. En substituant sa langue
maternelle, il possèdait un regard comparatif sur celle-ci ce qui
lui permettait, mieux qu'un adaptateur, de privilégier le mot ou
la réplique idéale afin d'exprimer au plus près l’intention poétique,
dramatique ou ironique qu’il souhaitait. Écrite en 1957, la pièce
dépeint l’enlisement de deux hommes dans leur quotidien. Maître
et esclave, ils se font face, englués dans une même dépendance,
« rescapés d’un colossal fiasco ». Cependant, Bernard Levy
y perçoit « l’humour dévastateur et grinçant de Beckett […] comme
une incroyable force de vie » et exploite cette vision de l'oeuvre
avec talent. Ce parti pris donne au dialogue une connotation jubilatoire,
un humour grinçant mâtiné de poésie, cette poésie que l'auteur aimait
tant: « Tu réclamais le Soir, il vient … non ! il descend; le
voici… c’est beau ! », fait-il dire à son personnage. Dans cet
hommage final à Recueillement, il semble faire sienne la
douleur de Baudelaire. Glissant de l’ironie à l’émotion, ses quatre
interprètes s’approprient le texte avec un art consommé. Ils sont
fascinants. Théâtre de l’Athénée 9e (01.53.05.19.19) jusqu’au
28 octobre.
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