LE FILS

Article publié dans la Lettre n° 340
du 30 avril 2012


LE FILS de Jon Fosse. Texte français Terje Sinding. Mise en scène Jacques Lassalle avec Michel Aumont, Catherine Hiegel, Stanislas Roquette, Jean-Marc Stehlé.
Au pied d’une montagne abrupte, haute comme un rempart, un fjord et quelques maisons au bord d’un lac. Autrefois on comptait les feux. Là, c’est vite fait. Seules deux d’entre elles sont encore éclairées, le foyer d’un couple et celui d’un voisin veuf depuis peu, qu’il ne fréquente guère. Aujourd’hui il fait si sombre que le couple s’en émeut. Aucun bruit ne vient déranger la vacuité des jours qui s’écoulent. Ils ont seulement noté que le voisin a pris le car de midi. Il est sept heures, les phares du car qui revient éclairent cette opaque obscurité. Les appels intermittents les surprennent. Leur étonnement s’accroît lorsqu’ils voient deux personnes en descendre. Le voisin et quelqu’un d’autre. Ils se considèrent incrédules. Et si c’était le fils ? Non, les deux hommes s’acheminent vers la maison voisine, mais la taille, la démarche du plus jeune…
La sonnette retentit. C’est bien lui qui revient après des mois d’absence les ayant laissés dans l’attente, sans un mot, sans un coup de fil, avec seulement une interrogation: cette réflexion du voisin arguant un séjour en prison. Le temps d’un soir, d’un matin, le fils repartira par le car de midi, emportant avec lui la pénultième lumière du village.
Comment restituer l’atmosphère engourdie de cette pièce de Jon Fosse dont l’écriture minimaliste interloque ? Comment mettre en scène et faire bouger ce couple immobile, engoncé dans sa torpeur, envahi par le vide? Comment prononcer les phrases à mots comptés, ces mots si convenus, si banals dont l’explicite n’est rien mais dont l’implicite renferme tout ? Metteur en scène et interprètes s’y risquent avec un fulgurant talent. Sur scène, un salon vieillot, meublé à l’ancienne, une porte au fond et la rambarde d’un escalier qui mène à la porte d’entrée. Elle est assise toute à son ouvrage, il lit distraitement. Dès les premiers mots, les premières phrases pour certaines inachevées, Catherine Hiegel et Michel Aumont incarnent superbement ce couple dont les envies, les espoirs se sont taris au fil des ans et qui n’expriment pas même le désir du retour improbable de leur fils unique. « Pourvu que ce ne soit pas lui ». Et voici qu’il survient. D’abord incrédules, ils préféreraient que ce ne fût pas lui. Il était devenu tellement désagréable avant son départ, avec son mutisme, sa musique omniprésente. Il s’était mis à boire, « c’était insupportable ». Et puis ce doute: la prison. La gêne s’installe. Comment renouer le fil rompu par l’absence ? Père et fils se serrent la main, la mère tend maladroitement sa main gauche. Le fils sourit mais se tait. Son attitude change pourtant quand ils lui confient les soupçons du voisin. « Il disait ça » commente-t-il. Le voisin, le voici justement qui survient avec une bouteille de whisky pour fêter « le retour de l’enfant prodigue ». Mais le fils prend assez mal ce soupçon carcéral et l’altercation tourne mal entre les deux hommes. Stanislas Roquette, fils emprunté, et Jean-Marc Stehlé, voisin envahissant, sont tous les deux remarquables.
Qu’est-il venu chercher ce fils qui repart aussitôt ? « Ça alors c’est vraiment gentil de venir nous voir ». Cette affirmation polie de la mère, au début, elle va peu à peu l’affirmer: « Oui ça fait plaisir que tu sois enfin revenu » comme si, la surprise passée, la peur de ne plus savoir que dire à ce fils, la crainte de ne pas savoir trouver les mots adéquats, s’émoussaient peu à peu pour laisser la place à un réel désir des retrouvailles qui lui feront répéter à la fin comme une prière: « Tu ne veux pas rester quelques jours ? ». Celle-ci contraste avec la simple constatation du père: « Alors tu es revenu». L ’intrusion de son fils semble le déranger. Son serrement de mains ne sera pas plus chaleureux au départ. Seul le geste furtif et tendre de la main de la mère effleurant la joue du fils retrouvé, puis de nouveau perdu, exprime sa peine. Elle tournera le dos à ce départ, écrasant furtivement une larme pendant que le père dans un soupir indéchiffrable regardera le car emporter son fils. Metteur en scène et comédiens nous emportent dans un monde où tout se pense mais rien ne se dit, où les allées et venues, les gestes, l’expression des visages et des regards, l’inflexion des voix sont tout. Une magistrale démonstration. Théâtre de la Madeleine 8e.


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