LES FEMMES SAVANTES

Article publié dans la Lettre n° 301


LES FEMMES SAVANTES de Molière. Mise en scène Arnaud Denis avec Elisabeth Ventura, Marie-Julie Baup, Jonathan Bizet, Anne-Marie Mailfer, Bernard Métraux, Jean-Pierre Leroux, Jean-Laurent Cochet, Nicole Dubois, Arnaud Denis, Alexandre Guansé, Stéphane Peyran, Baptiste Belleudy.
Philaminte règne chez elle en maîtresse. Soutenue dans ses lubies par Armande sa fille aînée et sa sœur Bélise, seules les nourritures de l’esprit l’inspirent, au détriment des nourritures terrestres. Chrysale, son mari, ploie sous le joug de ce « véritable dragon », opinant à toutes ses décisions, mené par le bout du nez par sa femme et méprisé pour sa faiblesse par son entourage. Ariste, son frère, a beau l’encourager à se rebeller, rien n’y fait. Martine, la bonne, est renvoyée pour avoir écorché Vaugelas. D’abord indigné, il approuve et congédie celle qui tenait si bien son pot. La résistance, pourtant, couve en la personne d’Henriette, la cadette. Cette tête simple dans un corps simple fait fi des divagations maternelles. Amoureuse du beau Clitandre, elle n’a qu’une idée : qu’on lui accorde la main qu’il vient de lui demander. Après avoir soupiré deux ans sans succès pour Armande, Clitandre s’est en effet tourné vers Henriette. Le père est tout disposé à satisfaire cet hymen, d’autant que l’oncle Ariste soutient le jeune homme désargenté. Mais c’est bien sûr sans compter sur Philaminte dont le projet est de marier sa fille cadette à Trissotin, un parasite gonflé de prétention qui hante la maison et y déverse des vers ineptes, plagiats pour la plupart, qui portent cependant ces dames aux nues. Deux clans se forment donc dans la maison, celui des beaux esprits et celui des bons vivants. Armande d’autre part regrette d’avoir dédaigné l’amour de Clitandre. Les affrontements entre sœurs, mari et femme font rage.
Arnaud Denis exploite dans sa mise en scène cet esprit de clan et met en relief les rapports de force qui se tissent dans la famille de maintes façons. Il cisèle l’ambiance, couvrant pertinemment par la musique les premières répliques suggérées, comme si nous surprenions une conversation en cours. Puis la tension déjà installée, il place ses personnages dont les allées et venues sont facilités par la sobriété du décor. C’est ici que nous reconnaissons un talent déjà observé dans ses mises en scène de L’ingénu et des Fourberies de Scapin, dans son génie de focaliser l’attention sur ses personnages par les lumières, bien sûr, mais surtout par la place stratégique qu’ils occupent à cet instant précis afin qu’ils soient à la fois uniques ou alliés aux autres au moment opportun. L’ interprétation repose alors sur ses comédiens, ici tout à fait extraordinaire, et sur lui-même, remarquable dans le rôle de Trissontin. Les mimiques d’ennui ou de consternation de Marie-Julie Baup, celles dépitées d’Elisabeth Ventura, la niaiserie de Anne-Marie Mailfer, l’impuissance désespérée de Jean-Pierre Leroux ou l’indignation de Bernard Métraux, discrètement relevées, font miracle. Les rapports de force et l’affrontement entre les personnages s’expriment bien évidemment par les mots. Arnaud Denis prend le parti de dégager l’œuvre de la métrique pesante de l’alexandrin. Les vers ne comptent plus que onze, voire dix pieds et adopte un phrasé proche du quotidien qui, débarrassé de tout apprêt, en éclaire d’autant mieux le sens.
Molière a en quelque sorte mis une robe au personnage masculin qui, jusqu’à présent dans ses pièces, régnait en despote sur sa famille. Il allie les défauts féminins de l’époque, préciosité, caprice, à tous les travers masculins que nous retrouvons dans ses œuvres et c’est pourquoi il fit tenir le rôle par un homme à l’époque de la création de la pièce, le comportement de Philaminte n’ayant plus rien de féminin. Arnaud Denis reprend cette idée en confiant ce rôle à Jean-Laurent Cochet qui, loin de caricaturer Philaminte, insiste avec art sur la crainte qu’elle inspire.
Grâce à cette perception aussi originale qu’efficace de l’oeuvre, le texte prend une toute autre allure, un intérêt pas toujours perçu dans les innombrables mises en scène dont la pièce a été l’objet au cours des siècles. Nous mesurons sa qualité à chaque réplique, l’un des points culminants étant le monologue de Clitandre sur la défense de la Cour qui passe le plus souvent au second plan. Toutes générations confondues, le public enthousiasmé ovationne l’éblouissant labeur de toute une troupe costumée avec art. Mise en scène après mise en scène, Arnaud Denis a affûté son génie et est devenu le metteur en scène incontournable de sa génération. Théâtre 14 14e.


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