LES FEMMES SAVANTES

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n° 319
du 6 décembre 2010


LES FEMMES SAVANTES de Molière. Mise en scène Jean-Denis Monory avec Céline Barbarin, Laurent Charoy, Julien Cigana, Clotilde Daniault, Virginie Dupressoir, Malo de La Tullaye, Camille Metzger, Bastien Ossart, Alexandre Palma Salas, Anne-Louise de Ségogne. Musiciens, Manuel de Grange ou Damien Pouvreau, Louis-Joseph Fournier ou Olivier Clémence.
On croyait tout savoir de ces fameuses cibles féminines de Molière, qu'elles aient été précieuses et ridicules ou encore savantes. La représentation baroque qu'en construisent Jean-Denis Monory et sa troupe de la Fabrique à Théâtre renouvelle de fond en comble l'idée que l'on s'en faisait. Pour notre plus grand bonheur.
Point de fée électricité, seules les 120 bougies de la rampe et des deux lustres, patiemment allumées à l'orée de la représentation, éclaireront le jeu d'acteurs immergés dans une vraisemblance que renforce la musique sur instruments d'époque, théorbe, guitare, hautbois, flûte, jouée en direct. La durée du spectacle sera celle de la longévité des bougies, donc pas d'entracte, pas de rideaux entre les actes. D'où une indéniable fluidité.
Première conséquence de ce parti-pris de vérité historique, les acteurs joueront et se déplaceront de face, sans se porter de regard latéral ni se détourner du spectateur. Cette première surprise acquise, la langue du théâtre du 17e siècle dont ils usent vient déconcerter l'oreille contemporaine, autant de prononciations oubliées dont seule une incursion en terre québécoise ou autrement villageoise nous rappellerait parfois la réalité ancienne.
Mais la surprise est bien plus grande encore à apprécier les choix de lecture très décapants de cette œuvre archi connue. Baroque, vous avez dit baroque ? Oui, si l'on se souvient que c'est l'une des dernières comédies de Molière, 1672, un an avant sa mort, et que la tradition a fait de l'auteur le parangon du classicisme au service du Roi Soleil.
Ce serait faire peu de cas de l'importance de la farce dans le théâtre du temps. La mise en scène qui est offerte ici redonne à ce comique très visuel et outrancier toute sa virulence, pas seulement pour susciter le rire, mais aussi pour remettre dans une perspective hautement critique les travers et poncifs de l'époque.
On voyait Chrysale comme un bourgeois pleutre et sans envergure, inféodé à l'autorité de sa femme. On le découvre ridiculement drôle, certes, mais bouffon matois et jouisseur. Et son épouse Philaminte, si elle demeure tyrannique, laisse entrevoir des appétits sensuels partagés avec lui. On savait l'esprit de Bélise totalement fêlé, on constate sans ambiguïté ses goûts de chair. Armande, la prude avide de séduction sans implication, ne peut cacher l'aigreur de sa frustration entretenue. La douce et obéissante Henriette s'emporte en explosions verbales et gestuelles. Clitandre, quant à lui, n'a-t-il pas adapté ses amours sans trop d'encombres ? Même le fade Ariste, frère de Chrysale, gagne en ambiguïté. Trissotin, Vadius et les valets manifestent la corrosion du ridicule et la franchise comique qu'on leur connaissait déjà.
Ce qui permet cette illustration au sens propre, c'est le recours, historique pourrait-on dire, à une gestuelle permanente des mains. Si, au début de la représentation, elle est déconcertante comme un langage des signes qui dupliquerait le sens, elle s'avère être un décodage pertinent d'une amplification du regard porté par Molière sur le corps et ses exigences, sur les femmes et leur inféodation révoltante, sur la légitimité de leur revendication à plus d'indépendance, même au risque du ridicule. Et ces figures ressassées au long des comédies successives prennent un coup de jeunesse vraiment vivifiant. Les acteurs, tous sans exception, sont remarquables de souplesse, dans un ensemble chorégraphique et déclamatoire judicieusement réglé.
De l'art de réviser ses classiques, dans la joie du rire et un intérêt jamais démenti jusqu'aux applaudissements mérités. Théâtre de l'Epée de Bois, Cartoucherie de Vincennes 12e. A.D.


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