LES
FAUSSES CONFIDENCES
Article
publié dans la Lettre n° 187
LES FAUSSES CONFIDENCES de Marivaux.
Mise en scène Gildas Bourdet avec Gérard Desarthe, Danièle Lebrun,
Michaël Cohen, Isabelle Thomas, Jean-Claude Barbier, Odile Mallet,
Philippe Sejourné, Guy Perrot, Marcel Champel.
Lorsque Marivaux écrit les Fausses confidences en 1737, il est non
seulement au sommet de son art mais sans doute lui semble t-il avoir
dit l’essentiel sur l’amour, ce transport inouï , capable de chambouler
un esprit plus que de raison. Il met en scène Araminte, une veuve
de la bonne bourgeoisie, mariée sans amour à un homme plus âgé,
avec lequel elle a vécu raisonnablement dans une confiance et une
affection réciproques. Elle jouit aujourd’hui du seul statut enviable
pour une femme de cette époque, celui de veuve avec une rente plus
que suffisante qui la met à l’abri du besoin. Cette liberté, elle
entend bien la conserver malgré les injonctions d’une mère ambitieuse
qui la pousse à épouser un comte avec lequel elle a un différend
au sujet d’une terre. Ce mariage éviterait un procès et surtout,
par l’arrivée de ce gendre, madame Argante se verrait tout à coup
propulsée dans le monde de la noblesse. Araminte hésite. Elle n’aime
pas cet homme et peut-être au fond d’elle-même, voyant l’âge qui
avance, attend-t-elle ce dont rêvait son cœur de jeune fille, dans
l’ombre du couvent, et dont elle ignore tout. Ce qu’elle espérait
sans plus y croire survient pourtant en la personne de Dorante,
fils d'un avocat, que son oncle monsieur Rémy présente à Araminte
pour l’emploi d’intendant. En fait, Dorante, depuis longtemps fort
épris d’Araminte, a placé Dubois, son homme de confiance, chez l’objet
de sa passion, afin de préparer la place. Voici le cœur pris d’un
jeune homme sans fortune, donc sans espoir, et celui à prendre d’une
femme qui ne connaît de la vie qu’une existence aisée, mais sans
amour, et dont le cœur serait peut-être prêt à tenter l’aventure.
Les quiproquos qui s’enchaînent, les malveillances, les pièges les
détourneront-ils l’un de l’autre, et du subtil jeu de l'amour?
Dans cette œuvre très construite, où l’on sent une maturité d’esprit
portée à son plus haut niveau, la moindre action s’engage dans un
mécanisme très précis où tout dans les moindres détails est pensé,
réfléchi, organisé. Chaque rôle a son importance, comme les pièces
sur un échiquier dont on aurait besoin jusqu’au dernier coup. Le
sentiment amoureux et ses conséquences sont disséqués avec une rare
psychologie, tant du point de vue masculin que féminin, et tout
comme pour la Mère confidente, on reste stupéfait par la modernité
de la démonstration.
Le double décor de Gildas Bourdet et d’Edouard Laug semble un peu
à l’étroit sur la scène d’Hébertot mais le spectateur peut malgré
tout en admirer l’ingéniosité qui sert merveilleusement les déplacements
constants des personnages. La débauche de costumes, tous plus ravissants
les uns que les autres, est aussi à relever. La mise en scène puissante
de Gildas Bourdet, à la fois dynamique et souple, montre une formidabe
expérience de la scène et met en valeur de façon remarquable un
texte éblouissant. Les rôles sont judicieusement distribués. Jean-Claude
Barbier, Monsieur Rémy sobre et convaincant, Philippe Séjouné, Comte
intemporel et ridicule, Odile Mallet, mère acariâtre et tyrannique,
Guy Perrot, Arlequin benêt mais facétieux sont excellents. On notera
la très bonne prestation d’Isabelle Thomas, Marton si jeune mais
si prête à vivre l’amour. Gérard Desarthe campe avec maestria un
Dubois manipulateur qui annonce le machiavélique Figaro et Michel
Cohen, dans le rôle de Dorante, de loin le plus périlleux, parvient
très bien à concilier les affres de la passion et les roueries de
la séduction. Reste Danièle Lebrun. Son jeu force l’admiration.
Elle exprime de façon époustouflante son trouble au premier regard,
son émoi lorsqu’elle se sait aimée, sa fausse candeur lorsqu'elle
se fait désirer, son bonheur lorsqu'elle rend les armes. Là, sur
la scène, elle a trente ans et subjugue son public. La course du
temps semble s'être arrêtée devant le seuil de sa loge. Théâtre
Hébertot 17e (01.43.87.24.24).
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