FARBEN
Article
publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n°388
du
16 novembre 2015
FARBEN de Mathieu Bertholet. Mise en scène Véronique Bellegarde avec Olivier Balazuc, François Clavier, Hélène Delavault, Laurent Joly, Odja Llorca, Sylvie Milhaud.
Oui, elle porte bien son patronyme, cette Clara éprise de vérité et d’humanité. Immer wahr, toujours vraie dans ses choix, ses amours, ses comportements. Eprise de science et de ce Fritz qui lui ouvre l’espoir d’un couple uni dans l’amour et dans la recherche. Il lui avait promis le côtoiement de leurs deux bureaux, elle n’aura que le statut d’épouse et mère au foyer. Femme, donc entachée physiologiquement d’une bêtise atavique, comme le lui serinent sa cantatrice de tante et la mondaine aristocrate qui l’abreuve de conseils de maintien et de séduction matrimoniale. Femme toujours inféodée, même si elle a obtenu le premier doctorat de chimie, à l’orée de ce siècle, qui va la mener de déconvenues en désespoir vers le suicide. Comment Clara supporterait-elle, en effet, le délitement de tous ses idéaux dans l’horreur croissante du massacre de la 1ère Guerre mondiale ? Mort de son fils, dévoiement de la recherche scientifique par Fritz qui la met au service de la mort et d’une souffrance plus efficiente, arrivisme insolent de ce mari, qui cherche à faire oublier à tout prix sa judéité, dans une Allemagne belliciste et antisémite.
Sur le gazon bien propre, Clara répand le sang de son suicide, dans les quelques secondes de réminiscence qui la séparent de son anéantissement. Scandés par les dates qui s’affichent au mur, les événements marquants de sa vie de jeune fille, puis d’épouse et de mère, se déclinent en une myriade de tableaux vivaces, joyeux comme sinistres, rythmés par la voix magnifique d’Hélène Delavault. Les vapeurs des gaz enveloppent la scène et les spectateurs, tandis que le survivant d’une boucherie de plus en plus mortellement efficace explique, avec un terrifiant détachement, le processus presque désincarné de ce qui permit le massacre au nom d’un patriotisme anesthésiant et absurde.
Couleurs, blanc du mariage, noir de la robe modeste de Clara, en jeune fille enthousiaste puis épouse désespérée, rouge flamboyant de la chanteuse pour ces fêtes obscènes, jaune du soufre et de la souffrance, vert inquiétant et diabolique de la chimie en actes. La mort décidément est en couleurs, celle des vapeurs et celle des uniformes, celle de la nuit définitive.
La Science peut-elle revendiquer la neutralité de ses découvertes face aux horreurs qu’elle autorise ? Question toujours d’actualité à laquelle cette pédagogie du regard théâtral apporte un éclairage pertinent et bénéfiquement dérangeant. A.D. Théâtre de la Tempête - Cartoucherie de Vincennes 12e.
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