FAISONS
UN REVE
Article
publié dans la Lettre n° 292
FAISONS UN RÊVE de Sacha Guitry. Mise
en scène Bernard Murat avec Pierre Arditi, Clotilde Courau, Martin
Lamotte, Yves Le Moign’.
Depuis un an et demi, d’un dîner à l’autre, leurs regards se croisent,
leurs mains se frôlent mais depuis trois semaines, le désir est
devenu « aigu » ! Il n’a de cesse que ne soit à lui l’objet de son
engouement. Elle, charme et se fait désirer, lasse d’un époux un
rien parvenu, aussi lourdaud que son accent du midi. Il n’en peut
plus et prétexte n’importe quoi pour les attirer chez lui: « Vous
me feriez le plus vif plaisir en passant tous les deux chez moi
à quatre heures moins le quart ». Émile, le valet de chambre, les
installe au salon dans l’attente du retour de leur hôte, avocat
au barreau de Paris, le temps d’observer un intérieur arrangé avec
goût qui rend Germaine rêveuse. Le mari finit par s’éclipser prétextant
un rendez-vous d’affaire. C’est l’instant que guette le maître de
maison, patiemment caché dans la salle de bains. Il paraît alors,
empressé. Ils s’entendent à merveille. Il est séduisant, gai et
spirituel, elle est élégante, fine et piquante. Un « je t’aime »,
un baiser, et il lui arrache la promesse d’un rendez-vous chez lui
pour le soir même à 9 heures. Plus l’heure approche, plus il se
montre fébrile …
On ne peut s’empêcher de rapprocher la date de la création de Faisons
un rêve de celle de la première guerre mondiale. Celle-ci fait
rage depuis deux ans lorsque Sacha Guitry l’écrit, au moment où
la plupart des femmes se retrouvent seules et qu’un proche avenir
va les transformer en légions de veuves. Apologie insensée dans
un contexte insensé : celle de l’adultère, du bonheur fugace à saisir
à tout prix, du désir irrépressible de cueillir dès aujourd’hui
les roses de la vie. La pièce possède une légèreté, une gaîté
inconciliables avec l’époque mais qui restent l’apanage de l’auteur.
Sacha Guitry ose tout, l’esprit insouciant, la verve spirituelle,
les répliques assassines, un marivaudage et une misogynie avec juste
ce qu’il faut de cynisme. Il ose même un monologue long d’un acte
entier, celui de l’attente impatiente des dernières minutes, aparté
entre le téléphone et la fenêtre, devenu célèbre pour être considéré
comme injouable par tout autre que lui. C’est ici que Pierre Arditi
gagne définitivement son pari. Spontané, drôle, virevoltant, il
s’est démarqué, dès les premières répliques, de la diction si particulière
de l’auteur-interprète pour s’emparer du texte et se l’approprier.
Il atteint dans ce monologue tant attendu le sommet de son art.
Le geste, l’inflexion de la voix, les jeux de scène, tout est là,
mais le phrasé et la formidable présence d’Arditi se substituent
définitivement à ceux de Guitry. La distribution est d’une redoutable
efficacité car ils parviennent tous les quatre à faire d’une pièce
que l’on pourrait croire démodée une comédie drôle, insouciante,
grâce à l’écriture d’un texte parfaitement maîtrisée, mais aussi
à leur talent. Clotilde Courau est fabuleuse en jeune femme primesautière,
légère et merveilleusement superficielle, Martin Lamotte savoureux
en mari trompeur et trompé, Yves Le Moign’, Émile parfait, habitué
à tout entendre et à tout voir. Les costumes d’époque de Dominique
Borg, ravissants, le somptueux décor des années 20 de Nicolas Sire
qui s’est une fois encore surpassé, et les lumières judicieusement
disposées apportent la touche indispensable et très réussie à l’ensemble.
Plus de cinq millions de téléspectateurs avaient vu la pièce montée
pour la télévision en 2007 dans la même mise en scène et avec Pierre
Arditi dans le rôle principal. Le risque pris par Bernard Murat
de la reprendre un an plus tard dans le même théâtre n’était pas
négligeable mais calculé. Il pressentait sans doute que la magie
du théâtre opèrerait une fois de plus car les représentations s’enchaînent
depuis septembre avec le même succès. Caresser du regard, prêter
l’oreille, avoir à portée de la main ces comédiens éblouissants,
c’est tout de même autre chose que devant le petit écran ! Théâtre
Edouard VII 9e.
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