L'ESCALE

Article publié dans la Lettre n° 252


L’ESCALE de Paul Hengge. Texte français de Stephan Meldegg et Attica Guedj. Mise en scène Stephan Meldegg avec Philippe Clay, Philippe Laudenbach, Juliette Armanet, César Meric.
Dans la salle d’attente de première classe de l’aéroport de Londres, un homme est assis devant une télévision, des écouteurs sur les oreilles. Il sirote un verre en attendant l’un des vols du matin pour Hambourg. Survient un voyageur sensiblement du même âge, assez troublé. Arrivant de New-York, il avait tout juste le temps d’attraper la correspondance pour Hambourg. Mais la jeune hôtesse d’une compagnie d’aviation lui a demandé de céder sa place à une personne qui devait absolument prendre cet avion, malheureusement complet. En échange de sa place, elle lui a offert un billet de première classe pour le prochain vol et un cadeau. Ce présent, Samuel Rabinowicz le considère avec stupeur. Il s’agit d’une haggadah, un livre saint. Pour ce bouquiniste juif new-yorkais d’origine allemande, cet exemplaire rarissime qu’il recherche depuis des décennies, représente toute son histoire, celle tragique de l’holocauste et de son enfance. Mais cet accident de la vie qui se solde par cette bonne fortune, ne l’empêche pas se s’interroger, car il a souvent constaté, à ses dépens, que la chance était le plus souvent suivie de malchance. Pourquoi ce changement de vol ? pourquoi ce cadeau inestimable, pourquoi lui ? Lorsqu’il apprend que le vol qu’il devait prendre était loin d’être complet et que l’agence représentée par la jeune hôtesse n’existe pas, sa surprise fait place à l’angoisse.
Le voyageur anonyme prend part à son désarroi. Tout d’abord réservé, Samuel se laisse gagner par la sollicitude et la bonhomie de ce compagnon de voyage. La conversation s’engage d’abord sur l’aventure de Samuel puis elle dévie sur un fait divers qui défraie la chronique: l’assassinat d’un homme d’affaires américain richissime. Le coupable présumé est allemand. Tout l’accuse, le mobile et surtout la déposition d’un témoin du meurtre. Une discussion oppose alors les deux voyageurs sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. Les arguments de chacun deviennent une véritable joute verbale où le désespoir, la haine et le ressentiment côtoient l’estime et la reconnaissance. Jusqu’où va les mener cette rencontre fortuite ou arrangée ? Vers une amitié sans doute mais peut-être aussi vers le pardon.
Les nombreux prix attribués à Paul Hengge pour L’escale (en allemand : Das Urteil - Le verdict) sont amplement mérités. Remarquablement construite et argumentée, cette pièce dont se sont emparés Stephan Meldegg et Attica Guedj est un véritable bonheur. Ils excellent une fois encore dans la traduction et l’adaptation. Maintes fois remise sur le métier, on sent chaque réplique retravaillée, chaque mot pesé et pensé afin d’offrir un travail d’orfèvre. L’efficacité de la mise en scène met en valeur le mystère et entretient le suspense jusqu’à la chute, la direction d’acteurs est irréprochable. Tout à tour bougon, ironique, drôle ou émouvant, Philippe Clay joue de toute la palette de son talent, sachant passer avec un art consommé du désarroi à la colère, de la plaisanterie à l’émotion la plus pure. Philippe Laudenbach lui donne la réplique avec la même subtilité et la même présence. Certaines pièces réjouissent le cœur pour leur justesse et leur profondeur. D’autres, beaucoup plus rares, possèdent quelque chose en plus, une perfection qui transporte et laisse un souvenir impérissable. L’escale en fait partie. Théâtre La Bruyère 9e.


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