LES ENFANTS DU SILENCE

Article publié dans la Lettre n° 382
du 4 mai 2015


LES ENFANTS DU SILENCE de Mark Medoff. Adaptation française Jean Dalric et Jacques Collard. Mise en scène Anne-Marie Etienne avec Catherine Salviat, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Laurent Natrella, Nicolas Lormeau, Elliot Jenicot, Anna Cervinka.
Jacques Leeds, orthophoniste de son état, tente depuis des années d’extraire de leur isolement les enfants sourds dont il a la charge afin qu’ils parviennent à communiquer d’une façon ou d’une autre. Il a ainsi la sensation de leur insuffler une seconde vie. Certains refusent pourtant de se laisser entraîner dans un terrain qui n’est pas le leur et préfèrent rester emmurés dans un silence aussi riche à leurs yeux que le monde sonore, pour conserver leur identité, leur « je » profond, et garder intacte cette partie d’eux-mêmes. Sarah Norman est de ceux-ci. Psychologiquement abandonnée par les siens, elle a grandi seule au milieu de sa famille puis dans l’institut où elle travaille comme femme de ménage, seule à côté des autres, accumulant des frustrations et une rancune tenaces qui l’ont rendue rebelle. Jacques, récemment arrivé, l’a vite repérée. Par sympathie, puis par amour, il décide de la sortir de cet enfermement volontaire, mais là réside le conflit : il désire plus que tout la changer et la créer à son image, l’acceptera-t-elle ?
Children of a Lesser God est une pièce bilingue en langue des signes et langue parlée, écrite par l’américain Mark Medoff. L’auteur s’inspira des rapports qu’entretenaient l’actrice sourde Phyllis Frelich et son mari Robert Steinberg qui, à l’origine, jouèrent leur propre rôle. La pièce donna naissance au film de Randa Haines, sorti en 1986. Marlee Matlin, sourde elle aussi, obtint l’Oscar de la meilleure actrice pour le rôle de Sarah.
Jean Dalric se lança dans l’adaptation de l’œuvre de Medoff en 1992 avec comme interprète de Sarah, Emmanuelle Laborit, actrice sourde de naissance, qui lors de la Nuit des Molières en 1993, reçut le prix de la révélation théâtrale. La création de la pièce au Théâtre Mouffetard reste graver dans la mémoire de ceux qui eurent l’opportunité d’assister au spectacle (Lettre 64). Outre l’interprétation bouleversante d’Emmanuelle Laborit et de Jean Dalric, il réunissait pour la première fois, dans une même salle, un public d‘entendants, de malentendants et de sourds partageant la même émotion.
La troupe de la Comédie Française a décidé de monter cette œuvre écrite pour des sourds et généralement interprétée avec leur concours. Durant plusieurs mois, les comédiens ont mobilisé leurs corps et leur mémoire au service de cette langue pleine de vivacité et tellement expressive. Ils ont appris à « signer » afin de percevoir et d’entrer dans le monde du silence. Maîtrisent-ils parfaitement la langue des signes? « Les entendants » que nous sommes l’ignorent mais leur performance technique est indéniable.
La mise en scène d’Anne-Marie Etienne se déroule en plans séquences très brefs avec un minimum de décors, ce qui permet aux comédiens d’être sans cesse dans l’action, comme dans un film.
Françoise Gillard, dans le rôle de Sarah, captive. Elle parvient avec aisance à transmettre en « signant » les sentiments contradictoires de Sarah, petite personne écorchée vive, à la fois agressive et fragile, agaçante et touchante. Laurent Natrella, l’orthophoniste amoureux, lui donne la réplique. Il maîtrise parfaitement un « dialogue » qui pourrait ne retenir que le côté tragique et « patho » de leur histoire. Catherine Salviat, Alain Lenglet, Nicolas Lormeau, Elliot Jenicot et Anna Cervinka les entourent d’une présence efficace, interprétant des rôles tout aussi prenants. Un travail brillant, net et sans bavure. Théâtre du Vieux-Colombier 6e.

Retour à l'index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » utiliser la flèche « retour » de votre navigateur