EDMOND

Article publié dans la Lettre n° 400
du 10 octobre 2016


EDMOND d’Alexis Michalik. Mise en scène Juliette Azzopardi avec Anna Mihalcea, Christian Mulot, Christine Bonnard, Guillaume Sentou, Jean-Michel Martial, Kevin Garnichat, Nicolas Lumbreras, Pierre Bénézit, Pierre Forest, Régis Vallée, Stéphanie Caillol, Valérie Vogt.
Quel acteur n’a pas rêvé de revêtir le nez de Cyrano, au moins une fois dans sa vie de planches ? L’ampleur du rôle, la profusion des comédiens sur la scène, la variété dispendieuse des décors ont sûrement calmé beaucoup d’enthousiasmes… Sait-on bien d’ailleurs que ce tonitruant et truculent Cyrano de Bergerac fut accouché dans la frénésie et l’angoisse de son auteur, Edmond Rostand, celle aussi des comédiens sollicités, des pourvoyeurs de fonds ? C’est cette effervescence d’équilibristes, toute d’inconscience et d’enthousiasme, qu’Alexis Michalik entreprend, avec bonheur et une jubilatoire réussite, de donner à voir. Son Edmond serait un époux falot et un auteur sans succès ni tapage, si la fièvre qui saisit son entourage ne le stimulait à son tour, au point d’offrir en quelques semaines au théâtre français un de ses plus beaux fleurons.
Ce fut, en cette fin de 19e siècle, le pari fou de l’urgence, des délais insensés, de l’inspiration hasardeuse et cahotante, des passions inavouées, des jalousies intimes et des duels de matamores.
La vivacité du texte et une mise en scène très judicieuse, servie par des comédiens virevoltants, donnent à voir ce ferment du génie en concoction, dans un bouillonnement de cultures diverses, monde des bateleurs et de la débauche, des sourdes conspirations et des rivalités assassines, des grandeurs et des médiocrités avérées. Sarah Bernhardt y côtoie la costumière, le cinéma de Méliès fait la nique à un théâtre dont on sonne peut-être le glas. Les salles se font la guerre, les acteurs se font des crocs-en-jambe sur les trappes dangereuses. Au-dessus de cette mêlée, plane l’originalité décalée du Cyrano historique, revisité à la sauce bourgeoise, dont l’originalité épique ne cesse pas d’étonner plus de trois siècles après.
Les portes claquent, les lieux évoluent de chambre en gare, de coulisse en plateau, d’auberge en maison close. Le public est partout, joyeusement voyeur d’une ronde à perdre haleine. L’hystérie délibérée du début de la pièce s’organise peu à peu, sans perdre le rythme endiablé, en un staccato propre à rendre la fébrilité d’une gestation hautement funambulesque. A cette fresque de personnages créés au fur et à mesure s’entremêle l’écheveau de leurs créateurs essoufflés. L’inventivité de Michalik invite à ce festin déluré d’improbables financiers corses, rodomontades et polyphonies à l’appui. Et cette mise en abîme de la pièce d’Edmond Rostand et de son public d’hier fait monter à la cime du plaisir un public d’aujourd’hui, qui l’acclame, rieur et admiratif. Debout à son tour, pour une acclamation si méritée. A.D. Théâtre du Palais Royal 1er.

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