AGNÈS
et
L’ECOLE DES FEMMES

Article publié dans la Lettre n° 363
du 20 janvier 2014


AGNÈS. Texte de Catherine Anne avec Morgane Arbez, Léna Bréban, Marie-Armelle Deguy, Océane Desroses, Caroline Espargilière, Evelyne Istria, Lucile Paysant, Stéphanie Rongeot, Mathilde Souchaud
et
L’ECOLE DES FEMMES de Molière. Mises en scène Catherine Anne avec Morgane Arbez, Léna Bréban, Marie-Armelle Deguy, Océane Desroses, Caroline Espargilière, Evelyne Istria, Lucile Paysant, Stéphanie Rongeot, Mathilde Souchaud.

Agnès et son petit chat qui est mort… Qui ne se souvient de cette ingénue désarmante, que les désirs libidineux de son barbon d’Arnolphe mènent à l’abattoir d’un mariage repoussant ? Et Agnès d’aujourd’hui, fillette violée par un père qui se targue d’un amour légitime. Ainsi mises en perspective, ces deux victimes interpellent universellement les voyeurs consentants du crime impardonnable de lèse-naïveté. Si Molière a recours au deus ex machina salvateur et confond le barbon, l’Agnès contemporaine aura bien du mal à émerger d’une jeunesse souillée, voire assassinée. Banalité de l’inceste, du viol conjugal, des corps qu’on pétrit sans vergogne, du despotisme consensuel.
Dans un dyptique saisissant, Catherine Anne tend le miroir des souillures irrémédiables qu’aucune avancée féministe ne semble devoir éviter. Et l’efficacité dramaturgique est d’autant plus patente que les deux pièces sont interprétées par les mêmes neuf actrices, dans des registres à la fois différents et si semblables. Etrangeté déstabilisante des genres ainsi entremêlés, du décor identique, de Marie-Armelle Deguy en père et barbon, aussi ambiguë que farcesque à la mode italienne, de Morgane Arbez, double Agnès fragile dans la souffrance à nu comme dans la niaiserie roublarde. Autour d’elles, la noria coutumière des cécités minables, des tièdes indignations, de ceux qui ne protestent que du bout des lèvres, jamais du fond du cœur. Autant dans une Ecole des Femmes rigoureusement servie, que Molière ne renierait sûrement pas, que dans la nausée en vagues de toutes les Agnès ignorées ou laissées-pour-compte de l’indifférence contemporaine, on n’échappe pas, même par le rire de comedia dell’arte, à l’enfer de l’évidence : Agnès serait-elle irrémédiablement coupable de son corps ? Et on sort de la salle obscure, après les salves d’applaudissements, avec le rire aux lèvres et le questionnement lucide et combatif sur ces atavismes révoltants. Un théâtre bien utile, oui vraiment. TQI Antoine Vitez. Ivry 94. A.D.


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