L’ÉCOLE DES FEMMES

Article publié dans la Lettre n° 389
du 7 décembre 2015


L’ÉCOLE DES FEMMES de Molière. Mise en scène Armand Eloi avec Pierre Santini, Anne-Clotilde Rampon, Jimmy Marais, Cyrille Artaux, Arlette Allain, Michel Melki, Bertrand Lacy.
Une cage dorée. Une jeune fille, juchée sur un perchoir, lit un livre qu’elle cache prestement dans une poche secrète lorsqu’Arnolphe signale à grands cris son arrivée. Tout est dit par cet effet de scène pertinent et subtil.
Ce bel oiseau tout de jaune et de blanc vêtu, c’est Agnès, blanc de son innocence, jaune comme la couleur traditionnelle des cocus, parce qu’elle sera bientôt fauteuse des cornes de son barbon de tuteur.
Arnolphe est tout en rouge, rouge du sang de son désir, rouge comme sa colère, parce qu’il se sent floué de ses espérances d’époux évident, rouge de son despotisme domestique, rouge de sa jalousie et de sa vindicte.
Horace sautille en rose, un peu mièvre et inconsistant comme les petits marquis du Misanthrope, babillard et enfant gâté, la larme aussi facile que le rire ou le dépit. Amoureux d’Agnès, il l’est, indubitablement. Tiendra-t-il la distance face à cette jeune fille d’une étonnante maturité derrière la façade de niaiserie qui la protège, déterminée, astucieuse, inventive, qui ne lâche rien de ses rêves même au creux de la défaite ? Et la franchise de la jeune fille, sans violence, est saisissante et désarmante.
L’intrigue de L’École des Femmes, entre rires, drame et rebondissements, est sans surprise véritable, puisqu’on sait bien que la jeunesse triomphera et que le vieux jaloux sera vaincu par elle. Les comiques de service, valets, notaire, sont dans la lignée des comédies de Molière. L’ami confident raisonne avec bon sens, le happy end est convenu, avec père et fortune retrouvés.
Le génie de Molière prend son envol dans la palette des sentiments d’Arnolphe face à une Agnès tout en subtilités inattendues. Et lorsque des acteurs habités par leur rôle s’en emparent avec intelligence et diversité, le spectateur est comblé. Pierre Santini est méchant à souhait avec la valetaille, confident roué avec douleur devant un Horace imprudemment bavard, violent autant que souffrant le martyre face à l’ingénue qui le projette sans artifice dans le miroir de ses contradictions. Anne-Clotilde Rampon, quant à elle, revêt d’impassibilité la force de sa détermination, mais elle ne lâchera rien, on le sent dès l’abord. Pas un mot plus haut que l’autre, pas de geste déplacé, une présence solide, toute simple, inexpugnable.
A l’instant où la compassion l’emporterait peut-être devant le tyran domestique manifestement torturé par la douleur d’un amour impromptu, Arnolphe redevient le vindicatif détestable, incapable de reconnaître sa défaite. Le couvent plutôt que le mariage avec un autre, Agnès ne lui échappera pas.
La cage, au centre de tout, se fait gloriette en rotation. Mais ce qui pourrait n’être que prison, cage et grille, sera aussi la métaphore de l’enfermement et de la duplicité dans lesquels Arnolphe se sera lui-même enclos. Il reste assis, dos au public, courbé sous le poids de sa solitude, tandis qu’Agnès, après un délicat geste de compassion, s’envole vers les bras de son amoureux, la fête joyeuse, la vie… A.D. Théâtre 14 14e.


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