DU
COTE DE CHEZ PROUST
Article
publié dans la Lettre n° 242
DU COTE DE CHEZ PROUST de et avec
Jacques Sereys. Mise en scène Jean-Luc Tardieu.
Sur scène, de grands panneaux mobiles de toile beige, pleins d’une
écriture à l'encre sépia, à priori celle de Marcel Proust, faite
d’une profusion de mots, de ratures et de repentirs qui occupent
tout l’espace comme si celui qui les avait tracés n’avait pas assez
de place pour libérer sa mémoire. La mémoire d’un auteur, Jacques
Sereys s’en empare à partir de deux chapitres d’un roman: « Du
côté de chez Swann ». A l’exception d’ Un amour de Swann,
l’oeuvre est écrite à la première personne. Le narrateur se glisse
donc dans cette mémoire et reconstruit « l’édifice immense du souvenir
». L’évocation de Combray, grâce au goût retrouvé de la madeleine:
« celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray
[..] ma tante Léonie m’offrait ». L’évocation de son enfance, et
de l’environnement familial, les grands principes de sa grand-mère
et le personnage si particulier de Françoise, la domestique, l’amour
pour sa mère mais aussi la souffrance qui en découle.
Marcel Proust avait ce don de créer un univers régi par des lois
propres qui révélaient à la fois une imagination poétique et un
sens aigu de l’observation. Il savait en quelques mots, d’une extraordinaire
précision, retrouver une atmosphère, celle de la maison de Combray,
un son, celui du cours de la Vivonne, une odeur, celle des lilas
qui bordaient la propriété des Swann. Il a étudié de près les caractères
et les moeurs de son siècle, la frivolité de certains milieux. Ils
sont la toile de fond sur laquelle se détachent des scènes de vie
de la bourgeoisie snob ou de l’aristocratie.
Les personnages proustiens sont dotés d’une inoubliable présence.
Jacques Sereys les fait resurgir. Véritable magicien du verbe, il
est tour à tour Madame Verdurin, minaudant dans son salon mondain,
le bon docteur Cottard « tellement bête », Odette de Crécy, cette
demi-mondaine trop coquette qui, selon Swann, «n’était pas son genre»
mais dont il tombera amoureux.
La mise en scène discrète de Jean-Luc Tardieu accompagne cette narration,
seulement interrompue par le chant d’un oiseau à Combray ou le bruit
étouffé des sabots d’un cheval sur le pavé parisien. Malgré les
choix qu'il a fallu opérer, la mémoire de Proust nous est livrée
là dans l’essentiel. De lecteurs, nous sommes devenus auditeurs,
bercés par le rythme et la beauté des phrases, parfois si ennuyeuses
pour certains à la simple lecture silencieuse, mais qui, grâce aux
inflexions captivantes de la voix du narrateur, se révèlent d’une
beauté toute accessible. Jean Cocteau disait préférer « entendre
Proust plutôt que le lire ». En une heure et demie magiques, Jacques
Sereys nous en convainc. Petit Montparnasse 14e. Lien : www.theatremontparnasse.com
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