LE
DRAGON
Article
publié dans la Lettre n° 219
LE DRAGON d’Evguéni Schwartz. Adaptation
et mise en scène Laurent Serrano avec Philippe Beautier, Clémence
Boué, Xavier Czapla, Jean-Baptiste Gillet, Vincent Jaspard, Bernard
Jousset, Cécile Leterme, Eric Malgouyres, Frédéric Rose, Marc Schapira.
Un ciel bleu mange la scène. Au milieu des nuages, Zéphyr
apparaît, prévient qu’un conte va nous être raconté. Ce superbe
début invite tout de suite à l’écoute. Le petit esprit du vent disparaît.
Le décor se fait plus concret. Dans la petite salle d'une maison,
la table est dressée, un bon feu crépite dans la cheminée, renvoyant
dans l’obscurité ses lueurs rougeoyantes. Un jeune homme entre.
Saisi par la douceur accueillante des lieux, fatigué par un long
voyage, il s’assied. Dans un coin de la pièce, le chat Mauricette
se fait les ongles, pardon, les griffes, tout en l’observant. Ils
engagent la conversation car ils se comprennent, nous sommes dans
un conte, non?
Le voyageur se nomme Lancelot. Mauricette lui raconte le malheur
qui pèse sur la ville depuis plus de 400 ans. Un dragon terrorise
les habitants, demandant chaque année le même tribut: une jeune
fille vierge. La mort dans l’âme, il explique que cette année, il
a choisi Elsa, la fille de la maison, qui vit seule avec son père
Charlemagne, bibliothécaire de son état. Le père et la fille surviennent
alors et exercent les lois de l’hospitalité. Ils semblent accepter
le triste sort d’Elsa. Lancelot, sensible aux charmes de la jeune
fille s’étonne: « La ville n’a jamais tenté de s’unir pour s’en
libérer? - Pourquoi? Il en viendrait d’autres, non? Le seul moyen
de se protéger d’un dragon est d’en avoir un chez soi ! Et puis
il est bon. Il a débarrassé la ville du choléra, puis des tziganes,
des êtres mauvais car insoumis aux lois. » Lancelot se décide alors.
En tant qu’héros professionnel, il veut sauver Elsa en provoquant
le dragon en duel. Si Charlemagne met Lancelot en garde, la réaction
des habitants est pour le moins surprenante. Exhortés par le bourgmestre
et son fils, à la solde du monstre, ils montrent à l’encontre de
Lancelot une hostilité croissante. Mais Lancelot défie le dragon.
Le combat va avoir lieu.
Evguéni Schwartz (1896-1958) a tout d’abord écrit durant une trentaine
d’années des contes pour enfants. Il les concevait toujours dans
un but éducatif et civique. En 1934, il écrit son premier conte
pour adulte Le Roi nu, bien connu du public. Deux autres
suivent dont Le Dragon. A une époque où le stalinisme fait
rage, elles sont toutes les trois interdites, car à travers l’histoire,
perçait une critique sévère du régime. Officiellement, l’intrigue
du Dragon se référait à l’Allemagne nazie mais elle renvoie
tout à fait à la réalité historique et politique de l’URSS des années
30 - 40. Son message est clair: en dénonçant la lâcheté humaine
face au joug dictatorial, il oppose le réveil de la conscience individuelle
et exhorte à la résistance pour acquérir la liberté. Sa pièce est
étonnamment moderne. Il existe en effet encore de par le monde,
beaucoup de dragons.
Laurent Serrano exploite à merveille le message de l’auteur. Son
adaptation moderne et sa mise en scène enchanteresse, ludique et
toujours en mouvement permettent un perpétuel suspense. La seconde
partie tire toutefois un peu en longueur (le spectacle dure près
de trois heures). Les comédiens, tout à la fois acteurs, chanteurs
et danseurs, sont parfaits. Frédéric Rose campe un Lancelot magnifique.
Théâtre de l’Ouest Parisien, Boulogne-Billancourt 92 (01.46.03.60.44)
jusqu’au 19 novembre 2003.
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