DOUZE HOMMES EN COLERE

Article publié dans la Lettre n° 303


DOUZE HOMMES EN COLÈRE de Reginald Rose. Adaptation Attica Guedj et Stephan Meldegg. Mise en scène Stephan Meldegg avec Michel Leeb, Alain Doutey, Pierre Santini, Jean-Jacques Moreau, Louis-Marie Audubert, Jacques Echantillon, François Gamard, Jérôme Le Paulmier, César Méric, Elrik Thomas, André Thorent, Eric Viellard.
A New York, depuis la salle de délibération du jury d’un tribunal qui va accueillir douze jurés, la voix off du juge se fait entendre. Elle s’adresse à eux avant qu’ils se retirent pour délibérer et juger de la culpabilité d’un jeune homme de 16 ans, accusé de parricide, et qui encourt la peine de mort. Elle conclut: « Je n’envie pas votre tâche, vous êtes chargés d’une grande responsabilité…».
Cette responsabilité, les douze hommes, provenant de couches sociales très différentes, ne semblent pas vraiment la mesurer. Il fait très chaud dans la pièce plutôt sinistre et, surtout, un match de football va se disputer dans la soirée, auquel la plupart d’entre eux souhaitent assister. Tout accuse le jeune homme, ses déclarations après le meurtre, son comportement et surtout deux témoignages accablants. Pour tous, l’affaire est claire: il est coupable, qu’on en finisse. Pourtant, le juré n°8, un architecte d’une quarantaine d’années, hésite à voter coupable. Un doute subsiste dans son esprit et il estime que ce jeune homme a le droit que l’on examine de nouveau les faits et les témoignages avant de voter une culpabilité qui l’enverra sur la chaise électrique. Si après un premier vote, il est le seul à voter non coupable, à mesure que les discussions s’engagent, et à la grande fureur des autres, un puis deux jurés se mettent eux aussi à partager ses doutes. Mais, pour que le jeune homme soit déclaré non coupable, la loi américaine exige l’unanimité. Un combat s’engage alors entre les irréductibles voulant quitter les lieux au plus vite et ceux se ralliant peu à peu à l’opinion du juré n°8.
Douze hommes en colère fut tout d’abord un téléfilm écrit au début des années 50 par Reginald Rose, inspiré à l’époque par sa propre expérience de juré dans une affaire. Suivirent de nombreuses adaptations théâtrales et cinématograhiques dont celle, fameuse, de Sidney Lumet en 1956 avec Henry Fonda, magistral, dans le rôle majeur du juré n°8.
Michel Leeb est à l’origine de la création de la pièce il y a douze ans. Il trouva en Stephan Meldegg et Attica Guegj les adaptateurs idéaux. Il est superflu de rappeler le parcours, connu de tous, de ces deux grands spécialistes des pièces anglo-saxonnes. Leur travail est ici tout à fait remarquable. Ils se sont en effet attachés à transposer l’écriture de l’époque en une langue actuelle ce qui confère à l’œuvre une grande modernité. Douze hommes en colère traite du degré de conviction de la culpabilité d’un être humain. Véritable plaidoyer sur le doute et la crainte de l’erreur judiciaire, la présomption d’innocence est au cœur des débats. La délibération imposée aux jurés met en relation des hommes que tout oppose et que ce huis clos étouffant pousse à bout. La politesse superficielle du début laisse rapidement la place au non respect de la parole de l’autre, à la méfiance, l’intimidation, l’hostilité, la menace, le racisme, la violence et la haine. Comment canaliser ces sentiments explosifs, doser le rapport de force qui s’instaure ? Stephan Meldegg en fait une formidable démonstration. Sa mise en scène est conçue sur le vif, comme si le public assistait en direct à l’empoignade. L’atmosphère d’étouffement est palpable comme l’est la tension qui peu à peu monte pour atteindre son paroxysme. La réussite de la pièce repose sur les épaules de tous les comédiens. Aucun personnage n’est mineur. Ils forment un tout, chacun apportant avec art un aspect de ce qu’est la nature humaine avec ses qualités et ses défauts. Si tous les rôles sont importants - l’interprétation de Pierre Santini, entre autres, étant de bout en bout étourdissante - celle du juré n°8 est bien sûr fondamentale. Michel Leeb, dont la performance avait été saluée lors de sa création, reprend avec fougue ce rôle qui lui tient à cœur. Il exprime avec un naturel éblouissant ce doute qui s’empare de lui et qu’il fait peu à peu partager aux autres. Théâtre de Paris 9e.


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